Les membres du mouvement Jeune Pologne se réunissaient dans un café de Cracovie appelé Jama Michalikowa (la grotte de Michalik). Il avait été créé par Jan Apolinary Michalik (1871-1926). La décoration intérieur est restée à peu près la même qu'à l'époque… avec simplement plus de touristes!
Photographies du café Jama Michalikowa, Cracovie.
Les deux architectes principaux de l'Art Nouveau polonais sont Franciszek Maczynski (1874-1947) et Tadeusz Stryjenski (1849-1943).
Franciszek Maczynski est l'auteur du Palais Szluki (Palais des Arts) qui étaient le lieu des exposition artistiques, construit entre 1898 et 1901. il semble bien que ce soit la première manifestation de l'Art Nouveau, ou plutôt de la Sécession en Pologne. C'est un bâtiment en forme de croix au plan très simple. Les murs sont rythmées par des pilastres et ornés d'une frise en bas-relief dont les figures sont très mouvantes.
La façade est surmontée d'une groupe sculpté représentant le visage d'Apollon-Phœbus. La porte est encadrée de deux colonnes massives surmontées de torchères stylisées qui donnent un caractère d'arc de triomphe à l'ensemble.
Les façades latérales sont ornées par un buste d'homme célèbre, ici Stanislaw Wyspianski, entouré d'un Ouroboros, figure de l'éternité.
L'entrée est ornée d'un bas-relief en stuc blanc et doré sur fond bleu très typique de l'Art Nouveau.
L'aspect du bâtiment a cependant un peu changé car en 1929, l'architecte Zygmunt Gawlik (1895-1961) a apporté quelques modifications.
Photographie de l'état original du bâtiment.
Franciszek Maczynski a réalisé de nombreux bâtiments à Cracovie, notamment des églises.
Tadeusz Stryjenski est beaucoup plus âgé. Il est né à Genève et à étudié à Zurich puis Paris. Il travaille à Lima de 1874 à 1877 puis crée son cabinet à Cracovie en 1879.
Jan Matejko. Portrait de Tadeusz Stryjinski. Projet pour un pilier de l'église Ste-Marie de Cracovie, vers 1885.
Stryjinski va construire un certain nombre de bâtiments à Cracovie, dans un style assez néo-classique, par exemple, le Palais Wolodkowieczow.
C'est en association avec Maczynski qu'ils vont réaliser les plus beaux bâtiments de style Sécession de Cracovie, et sans doute de Pologne.
Entre 1903 et 1906, ils dirigent l'édification du Vieux Théâtre. C'est la première fois que le béton armé est utilisée en Pologne. La frise qui entoure la partie supérieure du bâtiment est due à Godecki (aucune informations sur cet artiste).
Le bâtiment le plus prestigieux de la période Sécession à Cracovie est, sans aucun doute, la Chambre de commerce appelé Maison du Globe, à cause du globe qui surmonte la tour. La porte principale est décorée de deux allégories, Athena pour l'industrie et Hermès pour la médecine. Le pignon décoratif de la façade est ornée d'un grand haut-relief en bronze représentant un navire voguant sur la Vistule. Le bâtiment a été achevé en 1911.
La grande salle du bâtiment a été décoré par Jozef Mehoffer.
Un autre édifice est particulièrement réussi. Il fait face à l'Eglise Notre-Dame et est occupé actuellement par un restaurant. La frise qui surmonte les fenêtres est très élégante.
L'Academia Handlova (académie du commerce) a été construite entre 1904 et 1906 par Jan Zawiejski (1854-1922). Zawiejski (de son vrai nom Jan Baptysta Feintuch) a débuté en construisant des bâtiments de style historicisant. Son titre de gloire est la construction du Théâtre Juliusz Slowacki entre 1889 et 1893. C'est un modèle réduit de l'Opéra Garnier.
L'Academia Handlova est construite dans un style relativement classique mais le fronton qui orne la façade et la magnifique horloge d'angle sont, en revanche, très influencés par l'Art Nouveau.
De nombreux immeubles à Cracovie sont construits dans le même style. Beaucoup sont malheureusement encore dans un état de grande vétusté.
Un autre membre du courant Jeune Pologne est très important. Il s'agit de Stanislaw Witkiewicz. Il est né en 1851. Ecrivain, peintre et théoricien, il critique l'enseignement officiel. Il s'installa à Zakopane, une station de montagne à une centaine de kilomètres de Cracovie dans les Tatras.
Autoportrait. Photographie de 1890.
Jacek Malczewski. Portrait de Stanislaw Witkiewicz.
Huile sur toile, 1897.
En tant que peintre, Witkiewicz est surtout un très grand paysagiste qui affectionne les ciels orageux et les montagnes désolés. L'homme n'a que peu de place dans son univers de peintre.
Crépuscule. Huile sur toile, 1885.
Tempête en Mer Baltique. Huile sur toile, 1885.
Lac de montagne. Tempera, 1892.
Le pin solitaire. Huile sur toile, 1895.
La vague. Aquarelle, 1905.
Autoportrait en St-Jean Baptiste.
Huile sur toile, 1897-1900.
Paysage des Tatras. Huile sur toile, 1908.
Witkiewicz est surtout connu pour les constructions qu'il a entreprise dans la ville de Zakopane. En utilisant la construction traditionnelle en bois et en y adjoignant des éléments Art Nouveau, il a créé un style particulier, dit Style de Zakopane ou Style Witkiewicz. Il reste un certain nombre de ces maisons qui sont ont été restaurées.
Villa Konstantinowka.
Chapelle Jaszczukowa.
Villa Koliba.
La villa Koliba vers 1900.
Villa Pod Jedlami.
Une villa à Zakopane.
En musique aussi, le mouvement Jeune Pologne va être important. Les deux musiciens les plus éminents de l'époque sont Mieczyslaw Karlowicz et Karol Szymanowski.
Mieczyslaw Karlowicz est né en Biélorussie en 1876. Son père est linguiste et s'installe à Heidelberg avec sa famille en 1882. Il déménage ensuite pour Prague puis Dresde où le jeune Mieczyslaw apprend le violon. Il entre au conservatoire de Varsovie puis étudie la direction d'orchestre à Berlin avec Arthur Nikich (1906-1907). C'est l'époque de ses premières compositions. Esprit universel, il étudie aussi les sciences et la philosophie.
Photographie de Mieczyslaw Karlowicz en 1909.
Grand sportif, il va souvent dans les Tatras pour faire de l'escalade ou du ski. C'est en pratiquant le ski qu'il est emporté par une avalanche en Février 1909.
Photographies de Karlowicz en excursion en 1909.
Photographie de Karlowicz sur des skis.
La stèle installée sur les lieux où Mieczyslaw
Karlowicz à trouvé la mort.
Karlowicz étant mort jeune, il n'a pas pu développer toutes les qualités qu'il possédait. Son inspiration est de nature post-Romantique. Très influencée par Tchaïkosky et Wagner, sa musique reflète ses interrogations métaphysiques comme celles de Skriabine et de Malher. Ce sont surtout ses poèmes symphoniques qui sont connus.
Un conte triste, Préludes à l'éternité, op. 13, 1908.
Orchestre symphonique de Nouvelle-Zélande,
direction, Antoni Witt.
Karol Maciej Szymanowski est le plus grand compositeur polonais avec Frédéric Chopin. Il nait en Ukraine en 1882 dans une grande famille de propriétaire terrien portée vers les arts. Il commence le piano à 7 ans. Il entre au conservatoire de Varsovie en1901. Avec d'autre jeunes musiciens, il crée le groupe Jeune Pologne en musique, qui veut moderniser les habitudes musicales du pays, très rétrogrades. Il va souvent à Vienne et en Allemagne où est jouée sa Symphonie n° 2 (1909-1910).
Photographie de Karol Szymanowski dans sa jeunesse.
Jouissant d'une grande aisance financière, il voyage beaucoup entre 1908 et 1914, notamment dans le bassin méditerranéen. Comme beaucoup d'artistes à cette période, il a la révélation de la beauté des paysages, mais aussi de la beauté masculine. Entre 1914 et 1917, il écrit un roman sur l'homosexualité, Efebos, qu'il confie à son cousin et ami, Jaroslav Iwaszkiewicz (1894-1980), grand écrivain et lui aussi homosexuel.
Photographie de Jaroslav Iwaszkiewicz.
Le manuscrit a été détruit lors d'un incendie à Varsovie en 1939. Il en reste un chapitre qui avait été offert à Boris Kochno (1904-1990) dont Szymanowski était tombé éperdument amoureux. Comme beaucoup de gens, à l'époque, le compositeur aimait les très jeunes gens. Boris Kochno sera plus tard régisseur des Ballets Russes et amant de Serge Diaghilev.
Photographie de Boris Kochno.
Szymanowski éprouvera aussi une grande affection pour Witold Corti (1908-1944), un acteur de cinéma qui mourra courageusement lors de l'insurrection de Varsovie en Octobre 1944.
Witold Corti dans Janko le musicien (1930).
Dans ce qui reste de son roman, Szymanowski, exalte son amour de la jeunesse, et sa foie en Apollon et Dionysos. Il exprime une sorte de panthéisme où le mystique rejoint le sentiment amoureux. A la même période Iwaskiewicz publie Dionysos.
Photographie d'Iwaszkiewicz dans Dionysos, 1921.
C'est, à mon avis la période où la musique du compositeur est la plus extraordinaire. Il abandonne tout post-Romantisme et pousse beaucoup plus loin que Skriabine, la complexité harmonique. Il utilise aussi de nombreuses gammes orientales. Une de ses œuvres-phares est la 3ème Symphonie Chant de la Nuit, op. 27, composée en 1916, pour ténor ou soprano, chœur et orchestre. Elle utilise des textes de Djalal al-Dîn Rûmi. Rumi (1207-1273) est un poète et philosophe d'origine perse qui est le fondateur du Soufisme. Esprit ouvert sa pensée vise à unifier toutes les composantes de l'Univers en Dieu. Son mausolée est situé à Konya en Turquie.
Mausolée de Rûmi à Konya. La tour recouverte de faïences
vertes est le lieu de son tombeau.
Sensible à l'Orient, Szymanowski ne pouvait qu'apprécier la pensée de Rûmi.
Symphonie n°3, Chant de la nuit, op 27.
(aucune information sur les interprètes)
La même année il écrit un sublime concerto (n°1) pour violon en un seul mouvement. N'étant pas lui-même violoniste, il demanda conseil au violoniste Pawel Kochanski (1887-1934) ce qui concernait la technique violonistique. L'œuvre est somptueuse et d'une difficulté redoutable. Je considère que c'est le plus beau concerto pour violon du XXème siècle avec le n°1 de Prokofiev. Le concerto est créé en 1922.
Photographie de Karol Szymanowski, Pawel Kochanski (au centre) et Grzegorz Fitelberg (à droite).
Photographie de Pawel Kochanski vers 1930.
Concerto n°1 pour violon, op. 35. Violon, Pasha Tseitlin,
USC symphony Orchestra,
direction Leslie Dunner.
Fin 1917, Szymanowski met en chantier son œuvre la plus ambitieuse, son opéra Le Roi Roger sur un livret de Jaroslaw Iwaszkewicz. Fondée sur l'histoire de Roger II de Sicile qui a régné sur le sud de l'Italie au XIIème siècle. Cette œuvre est, bien sûr, le résultat de l'éblouissement du compositeur pour la Méditerranée. Un berger d'une grande beauté arrive à la cour de Roger. Ce berger est en réalité Appolon-Dionysos, Après une nuit de réflexion, Roger se convertit au paganisme, tout en restant lui-même. L'attirance de Roger pour le berger est évidemment l'aveu d'une homosexualité longtemps refoulée. En fin de compte, le trajet de Roger, c'est celui du compositeur.
Pratiquement pas d'action dans cet opéra, mais une somptuosité orchestrale notamment dans les scènes qui se passent dans le Palais de Roger II. Achevé en 1924, il est créé en 1926.
Le chant de Roxane, extrait du Roi Roger.
Olga Pasichnyk, soprano.
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En 1921, Szymanowsky découvre Zakopane et commence à s'intéresser au folklore des montagnards des Tatras. Il note certains chants comme Janacek l'a fait en Moravie et Bartok et Kodaly en Hongrie.
Photographie de Szymanowski vers 1915-1920.
Son style musical va changer. Il devient plus âpre et plus rythmique afin de retrouver les harmonies des chants populaires. La pièce la plus caractéristique de ce style est le ballet-pantomime Harnasie, op. 55. La gestation de cette œuvre a duré de 1923 à 1931 et elle est écrite pour ténor solo chœur mixte et orchestre. Les deux actes racontent un histoire d'amour et de kidnapping chez les montagnards des Tatras.
Extraits du ballet Harnasie, op. 55. Ténor, Adam Zdunikoski. Orchestre et chœur de l'opéra de Podlasie dirigés par
Marcin Nalecz-Niesiolowski.
En 1926, Szymanowski est nommé directeur du conservatoire de Varsovie. Il va chercher à introduire la musique contemporaine dans ce temple de la tradition.
Photographie de Szymanowski présidant une réunion au conservatoire de Varsovie. A sa droite,
le compositeur danois Carl Nielsen.
Photographies de Szymanowski vers la fin de sa vie.
Devant l'opposition des conservateurs, il quitte son poste en 1932. Entre 1930 et 1935, il habite souvent Zakopane, d'abord à la Villa Limba puis à la Villa Atma (âme en sanscrit) qui a été transformé en musée.
Photographies de la Villa Atma à Zakopane.
Tuberculeux depuis sa jeunesse, ce grand fumeur et amateur d'alcool, voit sa santé décliner assez vite. Il s'épuise en tournée de concerts pendant lesquels il joue sa Symphonie concertante pour piano et orchestre, op. 60, composée en 1932. Il fréquente les sanatoriums de Grasse, Davos etc... Il meurt à Lausanne en 1937, à seulement 55 ans.
Ferdynand Ruszczyc ne fait pas parti à proprement parler du groupe Jeune Pologne, mais sa sensibilité symboliste l'en rapproche énormément.
Ruszczyc est né en 1870 en Lithuanie. Il étudie la peinture en Russie. Il voyage ensuite en Crimée (1894-95), puis en Suède et sur les bords de la Baltique (1896-97). Lors d'un séjour à Berlin, il est très frappé par les Symbolistes germaniques, notamment Arnold Böcklin. Il rentre définitivement en Lithuanie et s'y installe avec sa famille en 1898.
Ruszczyc est essentiellement un peintre de paysages aux couleurs violentes et heurtées où se manifeste une certaine inquiétude face aux mystères du monde. Il meurt en 1936.
Photographie de Ferdynand Ruczszyc
en costume académique (vers 1920).
Photographie de Ferdynand Ruczszyc en 1936.
Paysage. Huile sur toile, 1900.
Vieux Arbres. Huile sur toile, 1900.
Paysage. Huile sur toile. 1900.
Orage. huile sur toile, 1901.
Crucifix dans la neige. Huile sur toile, 1902.
Tempête. Huile sur toile, 1903.
L'étang dans la neige. Huile sur toile, 1904.
Le tableau le plus célèbre de Ruszczyc est Nec Mergitur peint entre 1904 et 1905. La nef qui s'enfonce dans cette mer noire et agitée est tout simplement une représentation de la Pologne et de son histoire tourmentée.
Merci pour toutes les découvertes que je fais sur votre blog. Un monde d'ouvertures sur des artistes non eu peu connus en France.
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