vendredi 24 février 2012

L'architecture organique et Rudolf Steiner

Rudolf Steiner est né en 1861 en Croatie, qui appartenait à l'époque à l'Empire Austro-Hongrois. Ses parents étant autrichiens, ils rentrent en Autriche et Rudolf Steiner poursuit ses études d'abord à Wiener-Neustadt puis à Vienne.
Cet étudiant brillant va s'intéresser à la philosophie avant de rencontrer dans des circonstances assez confuses, un "maître éminent".


Photographie de Rudolf Steiner en 1882.


A partir de 1884, il travaille sur l'œuvre scientifique de Johann Wolfgang Goethe (1749-1832), qui est très importante. Goethe était, comme ses contemporains, un botaniste confirmé.

Johann Tischbein. Goethe dans la campagne romaine
Huile sur toile, 1787. 


C'est en observant un palmier (Chamaerops humilis) dans le jardin botanique de Palerme, que Goethe à l'illumination de l'Urpflanze, la plante archétypale. Il construit alors une théorie dite de la Métamorphose des plantes où toutes les pièces de la plante dérivent les unes des autres.

Un poème de Goethe écrit de sa main consacré 
au Ginkgo biloba.


Si la théorie botanique de Goethe s'est avérée parfaitement juste, sa théorie des couleurs et de la vision ont été très vite combattues par l'ensemble des scientifiques.

Cercle des couleurs de Goethe.



Pour le reste de sa vie Steiner restera attaché à la figure omnisciente et tutélaire de Goethe. Steiner est aussi un grand lecteur de Nietszche. Il parcourt l'Europe en prononçant des conférences sur des sujets variés. Il s'intéresse, notamment aux doctrines ésotériques qui fleurissent à cette époque. C'est en prononçant une série de conférences à la Bibliothèque théosophique de Berlin, en 1900, que Steiner se rapproche de cette doctrine. Il adhère à la Société de Théosophie en 1902. J'aurai l'occasion de parler ailleurs de la théosophie qui a influencé de nombreux artistes.
En 1903, devenu secrétaire générale de la branche allemande, il rencontre Annie Besant (1847-1933), présidente de la société.


Photographie d'Annie Besant en 1897.




La même année, il lance le magazine Luzifer qui devient l'année suivante Lucifer-Gnosis. N'oublions pas que dans la Tradition, Lucifer, est le porteur de lumière, celui qui illumine tout comme Prométhée chez les grecs.


Sommaire d'un numéro de 1904 de Lucifer-Gnosis.




La beauté de la figure de Lucifer-Satan inspire un certain nombre d'artistes comme Jean Delville, très proche de la théosophie, et ses Trésors de Satan.


Jean Delville. Les Trésors de Satan. Huile sur toile, 1895.




Un autre artiste, encore plus oublié que Jean Delville, est lui aussi fasciné par la figure de Satan. Théosophe lui-même, Fidus (pseudonyme de Hugo Höppener, 1868-1948) propose sa vision du Porteur de Lumière en 1892 ou Satana en 1896.


Hugo Höppener (Fidus). Lucifer. 1892.



Fidus. Satana ou Le Paon. Crayons de couleur, 1896.


Hugo Höppener (Fidus). Couverture pour une publication 
théosophique à Leipzig. Vers 1900.


Photographie de Hugo Höppener (Fidus) à 
Monte Verita en 1907.


Monte Verita est une colline située à côté d'Ascona. Entre 1900 et la Première Guerre mondiale ce fut une colonie d'artistes qui vivaient en communauté, pratiquaient le végétarisme et la nudisme selon une forme de socialisme primitif d'après les promoteurs du mouvement. Henry van de Velde, le chorégraphe Rudolph Laban, Stefan George y participèrent. Rudolf Steiner aussi.

Photographie de Hugo Höppener âgé (Fidus).




Homosexuel et fasciné par la beauté du corps humain, Höppener fera beaucoup d'illustrations pour le magazine Der Eigene d'Adolf Brand (voir Homosexualité, androgynie et ambiguité sexuelle I)
Il soutient les mouvements hygiénistes de la Körperkultur et en même temps professe un aryanisme militant teintée de néo-paganisme. Certaines de ses toile inspireront (hélas) la publicité nazi.


Fidus. Prière au Soleil. Huile sur toile, 1894.




Fidus. La nuit miraculeuse. Crayons de couleur, 1912.




Malgré son soutien au parti nazi, dont il devient membre en 1932, il ne reçoit aucune aide des autorités. Au contraire, son œuvre est interdite pour obscénité. Il meurt de misère en 1948. 
C'est vers 1900-1910 que Steiner rencontre l'écrivain Franz Kafka (1883-1924) et le peintre Vassily Kandinsky (1866-1944). Il devient proche d'Edouard Schuré.
Edouard Schuré, bien que très oublié aujourd'hui est une figure centrale de la pensée dans la France des années 1870 à 1920.
Né en 1841 en Alsace, il s'intéresse à la philosophie, notamment allemande, et aux Mystères d'Eleusis. Au milieu des années 1860, il assiste à une représentation de Tristan et Isolde et rencontre Wagner. Dès lors Schuré sera plus que wagnerien, wagnerolâtre même durant la Guerre de 70 pendant laquelle Wagner sera particulièrement anti-français !


Photographie d'Edouard Schuré.




En 1889, il écrit le livre pour lequel on le connaît encore, Les Grands Initiés. Tout le reste de son abondante production à sombré dans un oubli charitable.
Jean Delville s'est inspiré d'un épisode du livre, consacré à l'initiation d'Isis pour peindre L'Ange des Splendeurs.


Jean Delville. L'Ange des Splendeurs. Huile sur toile, 1894.


Son drame Les Enfants de Lucifer attire l'attention de Steiner qui le publie dans son magazine. Il le fera jouer en 1909 au Congrès Théosophique de Munich. Schuré est totalement fasciné par Steiner.
Celui-ci devient une des figures centrales de la théosophie jusqu'en 1912, date de la rupture de Steiner avec la Société de Théosophie, suite à l'affaire Krishnamurti.
C'est une assez sombre histoire. Une des figures importantes de la théosophie, Charles Webster Leadbeater (1854-1934), pasteur, membre de la Société de Theosophie depuis 1883 et clairvoyant (enfin, c'est lui qui le disait…) rencontre le tout jeune Jiddu Krishnamurti (1895-1986) sur une plage en promenade avec son frère en 1909.

Photographie de Charles Webster Leadbeater.



Selon toute vraisemblance (et ce malgré les dénégations de la communauté théosophe), Leadbeater était pédophile (on disait plutôt pédéraste au début du XXème siècle), comme beaucoup d'artistes et d'intellectuels de l'époque (Camille St-Saens ou André Gide, par exemple), dans une société qui acceptait ce genre de pratique beaucoup plus aisément qu'aujourd'hui. Il s'éprit donc du jeune indien et par clairvoyance, reconnut en lui le nouveau Messie.


Photographie de Jiddu Krishnamurti 
vers l'âge de 13-14 ans.




Lors d'un congrès à Adyar (à côté de Madras en Inde), siège mondial de la société, en janvier 1910, Krishnamurti est reconnu comme l'Avatar de notre temps, c'est à dire la réincarnation du Messie. Annie Besant soutint cette décision.
Steiner, au même moment, soutenait lors d'une conférence, que le retour du Messie se ferait sous forme éthérique. 
La tempête dans un verre d'eau théosophique va continuer lorsqu'Annie Besant va créer pour les partisans de Krishnamurti L'Ordre de l'étoile d'Orient, dont la direction allemande fut confiée à un opposant à Steiner.
Après de nombreuses péripéties assez minables, Steiner quitte la Société de Théosophie en 1912. C'est en février 1913 que la Société d'Anthroposophie est créée à Berlin. Edouard Schuré suit Steiner et démissionne à son tour de la Société de Théosophie.
Plus tard, Krishnamurti se désolidarisera de la Thésosophie et dissoudra en 1929 L'Ordre de l'étoile d'Orient. Leadbeater, malgré sa "clairvoyance", s'était planté!


Photographie de Jiddu Krishnamurti en 1920.


Il fera de nombreuses conférences et sera une personnalité de la contre-culture dans les années 60. A titre personnel, je me souvient qu'en 1975, en faculté de sciences, on avait un assistant qui était un adepte de Krishnamurti.
Steiner voulait ramener le Spirituel au premier plan, alors que la société se dirigeait vers un matérialisme de plus en plus grand. Comme tout ceux qui ont une visée totalisante, sa pensée est un mélange d'intuitions géniales et de méconnaissances scientifiques parfois rédhibitoires, surtout lorsqu'il a voulu se mêler de médecine.
En 1909, un jeune ingénieur du nom de Ernst August Karl Stockmeyer (1886-1963) construit, d'après les indications de Steiner un petit édifice à Malsch, à côté de Karlsruhe, qu'on peut considérer comme un modèle réduit dit Modellbau.


Photographie de Ernst August Karl Stockmeyer.


Plan du bâtiment de Malsch, 1909-1910.


Salle du bâtiment de Malsch. On voit les 
colonnes symbolisant les planètes 
et l'ouverture permettant la pénétration 
des rayons solaires à certaines dates.



C'est ce type architectural qui est choisi pour la construction d'une grande salle nécessaire à la représentation des pièces de théâtre que Steiner étaient en train d'écrire. Entre 1911 et 1913, on dresse les plans d'un bâtiment appelée Johannesbau à Schwabing à côté de Munich.

Projet de façade pour le Johannesbau de Munich, 1911-1913.


Cet état du bâtiment, qui ne fut jamais construit, rappelle tout à fait la coupole de la Jahrhunderthalle de Breslau (Wroclaw aujourd'hui) construite en béton armé par l'architecte Max Berg (1870-1947), exactement au même moment, entre 1911 et 1913. Sur la première photo, on voit la pergola de Hans Poelzig (1869-1936). 

Façade de la Jahrhunderthalle. Carte postale ancienne.


Photographie de l'intérieur de la 
coupole de la Jahrhunderthalle.


Le projet d'implantation d'un bâtiment à Munich échoue et c'est à Dornach, non loin de Bâle que la première pierre du Johannesbau est posée par Steiner à l'automne 1913. Ce ne fut qu'en 1918 que l'édifice fut définitivement appelée Goetheanum.
Le nouveau projet est, architecturalement, très différent de celui de Munich. D'abord, il est construit en bois sur des fondations en béton, ce qui limite les frais, mais surtout, les formes se sont largement arrondies.

Photographie de Rudolf Steiner posant à côté 
d'une maquette du Premier Goetheanum.


Plan du Premier Goetheanum.


Cette abondance de courbes enveloppantes, presque féminines, rapproche ce projet de l'architecture organique que pratiquent certains architectes durant la même période. La comparaison du premier Goetheanum avec les pavillons construit par Antoni Gaudi (1852-1926) au parc Güell à Barcelone entre 1900 et 1914 est particulièrement frappante.

Antoni Gaudi. Pavillons du parc Güell, Barcelone.


Photographie en couleur du Premier Goetheanum.


Il n'est pas sûr que Steiner ait connu Gaudi, sa culture ayant plutôt un tropisme germanique et plus lointainement anglo-saxon. On a, du reste, parfois utilisé le terme d'architecture expressionniste. 
Très proche de l'esthétique de ce premier Goetheanum, s'élève à Postdam la Tour Einstein construite entre 1920 et 1924 par Erich Mendelsohn (1887-1953), mais certainement imaginée vers 1914. C'est un observatoire destiné à démontrer les théories sur la lumière d'Albert Einstein. Ayant participé au mouvement du Blaue Reiter (Cavalier Bleu) d'origine munichoise, il est possible que Steiner ait eu connaissance de ses travaux.

Photographie d'Erich Mendelsohn.


Photographie de la Tour Einstein, Potsdam.


Un autre architecte a peut-être influencé Steiner, Hans Poelzig (1869-1936) dont la carrière commence au tout début du siècle.

Hans Poelzig. Boberhaus, Lwowek (Pologne), 1904.


Les grands toits englobants aux courbes douces qui sont une des caractéristiques du premier Goetheanum, sont déjà très présents dans cet immeuble.

Photographie de Hans Poelzig en 1927.


Outre son travail d'architecte, Poelzig a été aussi décorateur de cinéma. Il est notamment l'auteur des décors extraordinaires du film Le Golem de Paul Wegener et Carl Boese en 1920. Il n'est pas nécessaire, je pense de souligner la convergence de forme entre les maison de Prague imaginées par Poelzig et le premier Goetheanum.

Photographies du film Le Golem, 1920.





En 1936, Poelzig décide d'émigrer et accepte l'offre qui lui est faite de prendre une chaire d'architecture à l'Université d'Istambul. Il meurt, malheureusement, quelques jours avant son départ et c'est Bruno Taut qui prend le poste.
Bruno Taut est né en 1880 et est devenu célèbre par la construction de la Glashaus exposée à la Werkbund de Cologne en 1914.

Photographie de Bruno Taut.


La Glashaus ou Pavillon de verre est le résultat de la collaboration entre l'architecte Taut et le poète et écrivain d'anticipation Paul Scheerbart (1863-1915) qui écrit en 1914 un essai sur l'architecture de verre dédicacé à Bruno Taut. Paul Scheerbart passera ses derniers mois à tenter de construire une machine à mouvement perpétuel.

Photographie de Paul Scheerbart en 1897.


Le Pavillon de verre une structure ronde édifiée sur des fondations en béton au courbes douces. Les murs sont entièrement constituées de briques de verre alors que la coupole, en forme de pomme de pins est constituée de plaques de verre arrangées selon le système rhombique d'un cristal. La lumière pénètre ainsi la structure et traverse un plafond en mosaïques de verre multicolore qui donne à l'intérieur l'aspect d'un kaléidoscope. Scheerbart, qui a inspiré le programme de décoration intérieure, le considère comme un temple d'adoration du ciel et des étoiles, prélude de la religion future, selon lui.

Photographie de la construction de la Glashaus, 1912.


Photographie de la Glashaus achevée, 1914.


Vue intérieure de la Coupole.


Le pavillon a été détruit dès la fin de l'exposition. A partir des photographies et des descriptions, on a pu reconstituer des modèles réduits de la structure.


Durant la République de Weimar, Taut construit de nombreux logements sociaux. A l'arrivée d'Hitler au pouvoir, il part pour le Japon où il reste jusqu'en 1936. Il remplace alors Poelzig à l'Université d'Istambul et meurt d'une crise cardiaque en 1938.
L'architecture organique n'est cependant pas la seule influence qui a pu jouée sur le projet de Steiner. De nombreux artistes liés plus ou moins étroitement à la Théosophie ont eu des projets de temples, parfois assez vagues, parfois beaucoup plus précis. 
Le compositeur Alexandre Skriabine a esquissé, par exemple, le projet d'un temple construit sur un sommet de l'Himalaya.


Si le dessin de Skriabine reste assez allusif, Fidus, en revanche, a exécuté des dessins et des plans extrêmement précis entre 1909 et 1914.

Fidus. Le temple blanc. Projet de façade.


Fidus. Projet pour la façade du temple 
de la couronne de fer, 1899.


Fidus. Projet pour le temple de la Terre, 1899.


Fidus. Plan du temple de la Terre.


Plusieurs tableaux de Fidus mettent en scène des temples. on remarquera que sur certains, le temple est particulièrement ressemblant avec le premier Goetheanum.

Fidus. Adoration. Huile sur toile.


Fidus. Vers le temple de l'Eau. Huile sur toile, 
vers 1910.


Fidus. Vers le temple de la fraternité blanche
Huile sur toile, 1911.

Attention, il n'y a aucune connotation raciste dans 
le terme "fraternité blanche".

Les travaux du Goetheanum vont donc commencer, mais la Guerre de 1914 va ralentir les travaux. Cependant, il faut remarquer que des hommes originaires des nations belligérantes participèrent à son édification, même durant le conflit. Steiner a écrit les lignes suivantes, à propos du bâtiment : 

Ce qui se trouve sur cette colline ne pourra être compris de façon juste que lorsqu'on se dira : il y a dans le temps présent bien des exigences de l'humanité qui attendent une réponse. Au fond, les mots du langage ne sont absolument pas suffisants aujourd'hui pour y donner réponse. C'est une réponse de ce genre que l'on a tenté avec les formes de cet édifice. Et lorsqu'on le regardera de ce point de vue, on le regardera de manière juste.

Photographie de Steiner à l'époque de la construction 
du premier Goetheanum.


Dessin de la vue en coupe du premier Goetheanum.



Deux photographies des étapes de construction 
du premier Goetheanum.



La guerre empêche Steiner de faire des conférences. Steiner étant, de fait, plus proche culturellement de l'Allemagne que des alliés, Annie Besant, qui en voulait toujours à Steiner, le fit passer pour pangermaniste. Cette accusation fut reprise par Schuré qui démissionna de la Société Anthroposophique en 1917, ce qui fut pour lui un déchirement. Il se réconcilia, d'ailleurs, avec Steiner en 1921.
Dès 1916, Steiner collabora à la revue Das Reich du Baron Alexander von Bernus (1880-1965).

Photographie du Baron Alexander von Bernus 
à l'époque de Das Reich.


Un numéro de 1918 de Das Reich. Steiner est indiqué en
premier comme collaborateur.


Alexander von Bernus  avait été célèbre très tôt en dirigeant la publication d'une revue Die Freistatt où sont intervenus Frank Wedekind, Rainer-Maria Rilke, Paul Scheerbart, Thomas Mann, Stefan Zweig ou Hermann Hesse. C'est son intérêt pour l'Anthroposophie qui le poussa à lancer Das Reich. A partir de 1921, il se passionna pour l'alchimie et la spagyrie, reprenant certaines idées de Paracelse.
Dès que l'armistice fut signée, Steiner repris ses tournées de conférences. Malgré l'inachèvement de son intérieur le Goetheanum est inauguré en septembre 1920. Le bâtiment mesurait 80 m de long, 60 m de large et 34 m au sommet de la grande coupole.

Photographies de l'extérieur du premier Goetheanum 
après son achèvement, vers 1922.












L'intérieur du premier Goetheanum était constitué d'un hall d'entrée et d'une grande salle pouvant accueillir environ 900 personnes. Le plafond de la salle était décoré d'une fresque dont le sujet avait été proposé par Steiner.

Le plafond de la grande salle du premier 
Goetheanum. Projet.


La coupole repose sur des colonnes présentant des chapiteaux à motifs organiques mi végétaux-mi animaux.

Photographies des colonnes du premier Goetheanum.




On a une bonne idée de l'impression générale que pouvait donner la salle par des aquarelles. Il s'agit en fait, de vue idéalisée puisque certains éléments n'ont jamais été en place.

Aquarelle représentant la salle et la scène du 
premier Goetheanum. 


Aquarelle représentant la scène du premier Goetheanum. 















On aperçoit au centre le grand groupe de Rudolf Steiner et Edith Maryon ayant pour sujet le Représentant de l'Humanité. En réalité la statue était inachevée au moment de l'incendie du bâtiment et encore dans l'atelier.
L'architecture intérieure est là encore influencée par les architectes dont j'ai parlé précédemment.
Pour la forme des colonnes, c'est indubitablement de Gaudi qu'elle est la plus proche. Dès 1885-1886, le catalan fait preuve d'originalité dans le Capricho construit pour le marquis de Comillas, beau-père d'Eusebio Güell, le principal commanditaire de Gaudi.


Dans ce petit édifice, les colonnes qui soutiennent la tour sont rondes, mais Gaudi abandonne cette forme pour des colonnes hexagonales dans la crypte de la Colonia Güell dessinée en 1898, mais bâtie entre 1908 et 1914.



On retrouve les formes organiques avec beaucoup d'insistance, dans le hall d'entrée du premier Goetheanum, notamment dans l'escalier, comme le montre la photographie suivante prise pendant les travaux.


Les fenêtres de la grande salle étaient ornée de vitraux de couleurs unies selon un programme établi, là encore, par Steiner. Les dessins et les reliefs étaient obtenus par un gravure du verre à des profondeurs différentes. Pour ce faire, un atelier avait été installé sur le domaine.

Atelier de vitraux, aujourd'hui Section des 
sciences de la nature, 1914.


Projet pour quelques vitraux de la grande 
salle du premier Goetheanum.





L'importance de la couleur dans la salle n'est pas sans évoquer le kaléidoscope de la salle de la Glashaus de Bruno Taut. On n'a malheureusement que des photos en noir et blanc de ce lieu.


On peut remarquer aussi que le peintre Fidus avait aussi envisagé la structure intérieure des temples qu'il imaginait. On remarquera une nette convergence avec le Goetheanum aussi bien qu'avec la crypte de la Colonia Güell. On peut penser qu'il faut davantage songer à un "esprit du temps" qu'à une réelle influence.

Fidus. Dans le temple des eaux tranquilles, 1899.


Fidus. Dans le Temple, 1914.
Plus de 25 ans plus tard, les conceptions architecturales de Fidus n'ont pas changé mais la destination n'est plus théosophique mais beaucoup plus völkisch.

Fidus. Projet pour une salle de concert en béton, 1942.


Fidus. Projet pour une Salle d'Initiation au 
culte du feu en béton, 1938.

Parmi les artistes et les intellectuels attirés par l'Anthroposophie, et surtout par la personnalité assez magnétique de Steiner, on peut citer, hormis Edouard Schuré, Hermann Linde (1863-1923) et Edith Maryon (1872-1924).
Hermann Linde était un peintre originaire de Lübeck de formation très classique comme le montre ses premiers tableaux.

Hermann Linde. Allée du château de Weimar
Huile sur toile, 1887.


Hermann Linde. Jardins dans la ville de Lübeck
Huile sur toile, vers 1890.


Photographie de Hermann Linde.


Hermann Linde. Autoportrait. Huile sur toile.


Adepte de la Théosophie, il fait un séjour en Inde de 1890 à 1895, puis s'installe à Munich. Sa rencontre avec Steiner est déterminante. Son style change radicalement.

Hermann Linde. Vue du Goethenaum. Aquarelle.


Son art s'oriente ensuite vers une sorte de mysticisme anthroposophique teinté de fantastique où le Goetheanum a une position centrale.

Hermann Linde. Le temple derrière le pont
Huile sur toile


Hermann Linde. Le Temple d'or. Tempéra.


Edith Maryon est une artiste importante pour l'ensemble du domaine de Dornach car elle a été une proche collaboratrice de Steiner.

Photographie d'Edith Maryon.


Né à Londres, après des études à la Royal Academy, elle était devenue une artiste réputée. Son style était très caractéristique de la période Art Nouveau, avec une très grande élégance. 

Un poète de l'Ombrie.


Evelyne et Gloria.


La Danse d'Anitra.


Le Jardin Enchanté.


La messagère de la Mort.


La ronde des lutins.


Le Triomphe de la Paix.


Le plaisir de la Sorcière, 1909.


En 1914, elle rencontre Steiner et devient une adpete enthousiaste de l'Anthroposophie. Elle va rompre totalement, alors, avec son style précédent. En collaboration avec Steiner, elle commence l'exécution d'un grand groupe Le Représentant de l'Humanité, dont la version finale, en bois, de 1922, mesurera 9 m de haut pour un poids de 20 tonnes.

Edith Maryon et Rudolf Steiner. Le Représentant de l'Humanité. Bois, 1922.


le programme iconographique de la statue est assez simple. En bas du groupe est représentée le dieu Arhiman, symbolisant l'obscurité dans le mazdéisme de la Perse Ancienne. 


Au sommet du groupe est représenté Lucifer, celui qui porte la lumière.


La grande figure sur la droite est donc le Christ qui est le Représentant de l'Humanité et celui qui apporte la sagesse aux hommes.


Les catholiques de la région de Dornach, ne virent pas d'un bon œil l'installation de Steiner. En 1919, La Congrégation du Saint-Office avaient mis à l'index l'ensemble de la littérature théosophique et anthroposophique. Jakob Ott, un ouvrier fanatisé par les prêches enflammés d'un curée, mit le feu au Goetheanum durant la nuit de la St-Sylvestre 1922. Le bâtiment fut totalement anéanti, mais la statue, qui devait prendre place sur la scène de la grande salle n'étant pas achevée, était toujours dans l'atelier. On peut la voir, actuellement dans le second Goetheanum, construit en béton à partir de 1925.

Photographie de Rudolf Steiner travaillant au 
Représentant de L'Humanité.


Edith Maryon s'intéressait de près à une branche fondamentale de l'Anthroposophie, l'Eurythmie. L'Eurythmie est une technique de danse qui a été mise au point par la seconde épouse de Steiner, Marie von Sivers (1867-1948).

Photographie de Marie von Sivers en 1903.


Cette technique de danse, très utilisée dans la pédagogie des Ecoles Steiner, visent à harmoniser le psychisme de l'homme et le rythme de la nature, le premier devant entrer en vibration avec l'autre. Edith Maryon a sculpté quelques figures de la danse eurythmique.


Malgré l'incendie du premier Goetheanum, dont il ne reste que quelques photographies, d'autres bâtiments ont subsisté.
J'ai déjà parlé du pavillon des vitraux, mais on peut citer aussi la Maison Duldeck, construite en 1915 pour le donateur du terrain.


En 1919, on construit une maison pour l'artiste peintre Louise van Blommestein.


En 1920, enfin, Steiner et Maryon dresse les plans pour trois maisons dites Maisons des Eurythmiciens.


Au cours d'un lunch, le 1er janvier 1924, Steiner se sent mal et se dit empoisonné. Il continue à faire des conférences jusqu'en septembre puis, il doit s'arrêter. Il meurt le 30 mars 1925.

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