dimanche 29 janvier 2012

Rose+Croix

Alors qu'en cette fin de XIXème siècle, le positivisme et le scientisme sont en position dominante, que certains scientifiques espèrent expliquer tous les phénomènes, jamais il n'y aura eu autant de mouvements ésotériques. Spiritisme, théosophie, alchimie, thaumaturgie, prospèrent et influencent de nombreux artistes et parmi les plus grands. Rappelons qu'Oscar Wilde consultait une voyante (qui lui annonça un triomphe à son procès…) et qu'Arthur Conan Doyle (1859-1930), le créateur de l'immortel Sherlock Holmes, croyait au spiritisme, tout comme le physicien William Crookes (1832-1919).

Photographie de Sir Arthur Conan Doyle.


Photographie de Sir William Crookes.


Il nest pas question ici, de rentrer dans le détail de la doctrine rosicrucienne, ni dans les querelles qui partagent les différentes obédiences.
La fraternité des Rose+Croix est né au XVIIème siècle en Allemagne. Parmi les textes fondateurs ont citer le Fama Fraternitatis publié en 1614 et les Noces chymiques de Christian Rosenkreutz publié en 1616 et attribué à un certain Johann Valentin Andreae (1586-1654).

Edition originale de la Fama Fraternitatis.


Portrait supposé de Johann Valentin Andreae.


La doctrine Rose+Croix est un mélange de mysticisme chrétien et d'ésotérisme. Les étapes des Noces Chymiques correspondent aux différentes étapes de la transformation de la matière dans l'alchimie. Incontestablement des ouvrages comme l'Atalanta Fugiens (l'Atalante fugitive, 1618) de Michael Maier sont une des sources de cet ordre secret. 

Une des magnifiques illustrations de 
l'Atalanta Fugiens de Michael Maier.


Au XVIIIème siècle, la Rose+Croix se rapproche de la Franc-Maçonnerie. On en voit des traces aussi bien chez Gœthe que dans la Flûte Enchantée de Mozart.
En France, au XIXème siècle, un nouvel ordre Rose+Croix est créé par deux personnages étonnants, Stanislas de Guaita (1861-1897) et le Sar Merodack Josephin Péladan (1858-1918).
Stanislas est un authentique noble d'origine italienne par son père. Guaita est très influencé par des lectures diverses d'auteurs ésotériques ou occultistes. 

Photographie de Stanislas de Guaita (date inconnue).


L'influence la plus forte a sans doute été celle d'Eliphas Lévi. De son vrai nom, Alphonse Louis Constant (1810-1875), il hésite longtemps entre la prêtrise et l'occultisme. Il étudie la Kabbale, les œuvres de Jacob Bœhme et Emmanuel Swedenborg. Il est aussi Grand Maître de l'Ordre Hermétique de la Rose+Croix Universelle. Il écrit de nombreux textes, notamment Philosophie Occulte.

Charles Revel. Portrait d'Eliphas Levi, 1874.


Eliphas Levi. Le Baphomet. Illustration pour 
Dogme et Rituel de la Haute Magie, 1854.


Stanislas de Guaita était poète et a écrit plusieurs recueils dont Rosa Mystica en 1885. En 1888, il fonde avec Joséphin Péladan, l'Ordre Kabbalistique de la Rose+Croix. En font partie, notamment, Papus, Claude Debussy et Erik Satie. 
En 1891, Péladan décide de fonder son propre ordre Rose+Croix, davantage tournée vers le mysticisme et l'art. Un certain nombre d'adeptes le suive. 
Papus reste fidèle à Guaita. Papus est le pseudonyme de Gérard Encausse (1865-1916), médecin et occultiste. Il a écrit de nombreux textes hermétiques. Il est le fondateur, en 1891, avec Auguste Chaboseau de l'Ordre Martiniste.

Photographie de Papus dans une loge de l'Ordre Martiniste.


Stanislas de Guaita a aussi illustré ses textes. 
C'est le cas avec Le Temple de Satan, 1891.


Stanislas de Guaita s'associe avec Oswald Wirth (1860-1943) pour créer un tarot dit Tarot de Wirth qui est encore utilisé aujourd'hui.

Quelques arcanes du Tarot de Wirth. On remarquera l'arcane du diable qui reprend le Baphomet d'Eliphas Levi.


Stanislas de Guaita était un grand amateur de drogues diverses. Sa mort à 36 ans a parfois été attribuée à une over-dose mais cela reste controversée.
Les tarots de Wirth et l'occultisme sont à l'origine d'une des constructions les plus étonnantes de cette période, la Chapelle bleue du château des Avenières.
Le château est située à 1150 m d'altitude non loin d'Annecy. Sa construction a été entreprise de 1907 à 1913 et financée par une richissime excentrique d'origine anglaise, Mary Shillito. Celle-ci a rencontré un ingénieur d'origine indo-mauricienne, petit-fils du Maharaja de Lahore, Assan Dina (1871-1928), féru d'occultisme et l'épouse en 1914. 

Photomontage présentant un des seuls 
portraits d'Assan Dina.


Entre 1914 et 1917, Assan Dina fait modifier le château afin d'y installer une chapelle entièrement décorée de mosaïques tirées des tarots de Wirth. Les mosaïques sont exécutées par des artistes italiens.

Le château des Avenières, carte postale ancienne.


Actuellement le château a été transformé en hôtel de luxe et une piscine a été installée en bas des arcades.

Façade du château des Avenières, état actuel.


A l'époque de la construction du château, deux sphynx ornaient la terrasse. Ils ont disparu depuis.


Le sphynx a une importance toute particulière pour les occultistes. Dans son frontispice pour Le mystère des cathédrales (1926) de Fulcanelli, le peintre Jules Champagne (1877-1932) place en position dominante un sphynx.


A propos de ce peintre surprenant, je rappellerai l'existence d'un des tableaux les plus étonnants de l'Art Nouveau, car il allie la Nudas Veritas de Klimt à l'alchimie, Femme nue dans un matras de verre, qu'il a exécuté vers 1910.


Photographie de Jules Champagne, vers 1914.


A l'arrière du château des Avenières, Assan Dina fait ajouter un bâtiment qui abritera la Chapelle bleue.


Quelques vues générales de la Chapelle bleue.





On peut remarquer que la représentation du diable reprend celle du Baphomet d'Eliphas Lévi, comme chez Stanislas de Guaita.


Après avoir publié trois ouvrages influencés par l'occultisme, Assam Dina mourra subitement lors d'une croisière en 1928, dans des conditions mal définies.
L'autre personnalité dominante de la Rose+Croix française en cette fin du XIXème siècle est le Sar Joséphin Péladan. Personnalité excentrique, dandy occultiste, Péladan a occupé une place centrale dans les arts français durant quelques courtes années.
Joseph Péladan est né à Lyon (comme Allan Kardec et le Mage Philippe) en 1858. Avec son premier texte, Le Vice Suprême (1884), Péladan manifeste son anti-scientisme et son anti-naturalisme. Ce livre aura un grand retentissement à l'époque.

Félicien Rops (1833-1898). Illustration pour 
Le vice Suprême, 1884.


Après sa séparation d'avec Guaita, il crée en 1891, l'Ordre de la Rose+Croix catholique et esthétique du temple du Graal. Rien que dans cette dénomination, tout est dit. Péladan, n'a rien d'un sataniste, son ordre est avant tout mystique et esthétique. Quant à l'allusion au Graal, il est directement lié à l'admiration que Péladan porte à Richard Wagner et plus particulièrement à Parsifal. Le Sar Péladan fera d'ailleurs le pélerinage de Bayreuth. Il écrira aussi une Wagnérie Kaldéenne, Le fils des Etoiles en 1892, dont Erik Satie (1866-1925) écrira la musique de scène.

Erik Satie. Trois préludes pour le Fils des Etoiles du 
Sar Péladan. Aldo Ciccolini, pianiste.


A cette période, Péladan porte des vêtements qui ne sont pas sans rappeler les tenues esthétiques d'un Wilde. Il nous reste de lui, de nombreux portraits.

Alexandre Séon (1855-1917). Portrait du Sar Péladan
Huile sur toile, 1892.


Alexandre Séon. Dessin préparatoire au 
Portrait du Sar PéladanMine d'argent 
sur papier, 1892.


Marcelin Desboutin (1823-1902). 
Portrait du Sar Péladan. Huile sur toile.


Deux photographies du Sar Péladan 
dans les années 1890.



Le Sar Péladan quelques années plus tard 
(sans doute vers 1900-1910).


Jean Delville (1867-1953). Portrait du Sar Péladan
Huile sur toile.


Zacharie Astruc (1835-1907). Portrait du 
Sar Péladan. Marbre.


Eli Brazillier. Profil du Sar Péladan. 
Gravure d'après un dessin.


Alexandre Séon. Le visage du Sar Péladan 
suspendu à la croix. 
Frontispice pour Le Vice Suprême, 1884.


Le Sar Péladan entouré de ses disciples de la Rose+Croix.


Le Sar Péladan va attirer beaucoup de moqueries par ses tenues et le titre de Sar (roi) qu'il s'est auto-attribué. Surnommé le "Mage d'Epinal" ou le "Sar pédalant", c'est Rodolphe Salis (1851-1897), la patron du cabaret du Chat Noir, qui le baptisera "Artaxerfesse".
Entre 1892 et 1897, cinq salons de la Rose+Croix Esthétique se tiendront, dont le plus important fut le premier. 
Il écrit de nombreux textes dont un des plus intéressants est l'Androgyne, en 1891. 



Il écrit ensuite de nombreuses pièces de théâtre comme Babylone ou la trilogie de la Prométhéide dans laquelle, il tente la mise en place de l'œuvre d'art totale. Il écrit aussi un cycle de romans, La Décadence Latine. Reconnaissons que s'il y a de beaux passages, l'ensemble est très ennuyeux et longuet.
Petit à petit, il est de moins en moins connu et meurt presque totalement oublié en 1918.




En 1891, il dépose les statuts des salons de la Rose+Croix esthétique. Ces statuts sont signés par quatre autres personnes, le comte Antoine de la Rochefoucauld, Leonce de Larmandie, Gary de Lacroze, Elemir Bourges.

Antoine de la Rochefoucauld (1862-1959) fut un collectionneur, notamment des Impressionnistes et de Van Gogh. Il a été aussi peintre.




Antoine de la Rochefoucauld. Paysage pointilliste, 1898.


Antoine de la Rochefoucauld. Vue de Capri depuis Sorrentino, 1898.


Antoine de la Rochefoucauld. Paysage avec un étang, 1898.


Il a été le mécène des peintres Emile Bernard et de Charles Filiger. Il est aussi le Grand Prieur de l'Ordre de la Rose+Croix esthétique. 
Le comte Léonce de Larmandie (1851-1921) est un poète, auteur de L'Excelsior, Roman Parisien et d'une série baptisée Comédie mondaine.

Illustration pour un article de Léonce de Larmandie dans le magasine La Vie Mystérieuse, 1909.










Emile Gary, baptisé Gary de Lacroze par Le Sar Péladan lui-même semble avoir été un écrivain qui n'a pas laissé de trace dans la littérature.


Tel n'est pas le cas d'Elémir Bourges (1852-1925) qui est une figure centrale de la littérature et de l'art à Paris au tournant du siècle. Ami de Stéphane Mallarmé, de Joris Karl Huysmans, de Claudel ou d'Emile Bernard il épouse en 1883, Anna Braunerova, sœur de la femme peintre tchèque Zdenka Braunerova (1858-1934). Journaliste au Gaulois, c'est ausi un wagnérien convaincu. Sa participation à la Rose+Croix esthétique se ressent dans son roman Les oiseaux s'envolent et les fleurs tombent (1893). On lui doit aussi une épopée en deux partie sur le Titan Prométhée, La Nef (1904 et 1922). D'une nature plutôt solitaire, il est cependant élu à l'Académie Goncourt en 1902.






Elémir Bourges et les sœurs Braunerova en 1883.


Photographie d'Elémir Bourges vers 1890.


Photographie d'Elémir Bourges, vers 1900.


Emile Bernard. Double Portrait d'Elémir Bourges 
et de Paul Claudel, 1910.


dimanche 8 janvier 2012

Céramiques autrichiennes

Durant la période Jugendstil, la production de céramiques est très importante en Autriche et plus particulièrement au nord de la Bohème, dans la région de Teplice.


Carte de la République Tchèque. La zone de production de céramiques est en rouge.


La Bohème appartient alors à la couronne austro-hongroise et tout les noms sont alors germanisés. La ville de Teplitz-Schœnau est alors une station thermale célèbre qui accueille depuis la fin du XVIIIème siècle de nombreuses célébrités. Les eaux chaudes, utilisées dans le traitement des rhumatismes, sont la trace d'une ancienne activité volcanique.


Photographie ancienne représentant la synagogue de Teplitz.


Photographie ancienne représentant l'établissement de bains de l'Impératrice Elisabeth (Sissi) à Teplitz.


Cette région est frontalière à la Saxe, non loin de Dresde et de Meissen, haut lieu de la porcelaine allemande. Devenue tchécoslovaque en 1918 et appartenant aux Sudètes, elle est annexée par l'Allemagne nazi en 1938 jusqu'en 1945.
On ne peut pas nommer toutes les manufactures de céramique qui ont fonctionné dans cette zone, tant elles sont nombreuses, au moins une cinquantaine, dont certaines n'ont fonctionné qu'une dizaine d'années. Certaines, cependant, furent très importantes par la quantité et la qualité des pièces produites.
La majorité de ces manufactures ont été créées dans la première moitié du XIXème siècle et certaines, comme Royal Dux, sont toujours en activité.
Un grand nombre ont été réunis en sociétés, notamment pendant la domination allemande, puis nationalisées lors de l'arrivée des communistes au pouvoir en 1948. 
Les plus belles créations de ces manufactures datent incontestablement des années 1880-1920.
Une des manufactures les plus importantes est Amphora. La fabrique principale était située dans le quartier de Turn Teplitz (Trnovany aujourd'hui).
Amphora a été créée en 1892 par trois amis, Reissner, Stellmacher et Kessel. Au début, l'entreprise s'appelait RStK. C'est après le départ de Stellmacher, en 1905, que la manufacture pris le nom de Amphora.
De nombreux artistes ont dessiné des modèles pour la marque. On peut citer Paul Dachsel (vers 1880-?) et aussi le sculpteur animalier suédois Otto Jarl (1856-1915) qui collabora plus souvent avec la manufacture de porcelaine de Meissen.

Otto Jarl. Ours attaquant un taureau
Manufacture Amphora, faïence, vers 1900.

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Ce type de pièces est relativement rare dans la production de la manufacture. Elle a davantage produite des vases, des jardinières dans des styles extrêmement variés allant du Biedermaier au Jungendstil en passant par le néo-baroque. Certaines pièces sont très recherchées par les collectionneurs du fait de leur grande originalité.
Les décors à motifs végétaux sont très utilisés, notamment les fruits, comme les raisins.



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Les fleurs sont aussi abondamment utilisés. Les artistes arrivent parfois à des stylisations d'une originalité et d'une modernité étonnante, comme dans le vase Arum ou dans la coupe Nénuphar.





Collection personnelle

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Certaines pièces sont, sans doute, parmi les plus originales de l'histoire de la céramique comme ce vase soliflore représentant une branche de corail bleu avec des incrustations de dorure.


Les décors animaliers occupent aussi une grande place dans la production de Amphora.






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Parmi les must de la fabrique, il y a les vases dessinées par Paul Dachsel ornées de toiles d'araignée et de cabochons émaillés.


Certains vases sont le support de de véritables scènes comme ce vase agrémenté d'un poisson volant fantastique, d'un coquillage et d'une tortue.


En même temps, la manufacture produit des pièces très marquées par le néo-classicisme comme le vase amphore ci-dessous.


La même influence se fait sentir sur une pièce comme cette statuette qui semble représenter Europe et Jupiter transformé en taureau.


La figure féminine est souvent marquée par les canons de la beauté de cette Belle Epoque. De ce point de vue, il est facile de confondre des pièces produites par Amphora et des pièces produites par Royal Dux.





Dans un autre style, la manufacture crée des formes plus réalistes comme cette vieille femme comptant son argent au retour du marché. Le panier pouvait servir de bouquetière.

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Cet autre vase, en revanche, reprend un mode de représentation romantique d'une jeune fille, dans les tons de vieux rose, baissant timidement la tête.  

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Une des grandes modes dans la céramique de l'époque était de produire des bustes de femme du monde aux vêtements richement décorés et souvent fort décolletés. Amphora en a proposé de très nombreux dans cette période.





La fabrique Amphora a produit de nombreux vases décorés de profils ou des visages de femmes, soit entourés de riches dorures, soit en émail brillant se détachant sur un fond mat. Ce sont ses émaux qui deviendront pratiquement l'essentiel de la production après 1920.




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Bien entendu, les formes des vases sont très inspirés par le Jugendstil et plus spécifiquement par la Sécession viennoise.



Les vases ornées de chérubins ou d'enfants et de guirlandes de roses semblent très influencés par le style de Michael Powolny (1871-1954), une des figures marquantes de la Wiener Werkstätte (j'en reparlerai plus loin), notamment dans le traitement très stylisé et presque cubiste des roses.



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Une autre faïencerie située à Turn Teplitz est la maison Josef Strnact. Elle a été fondée en 1881 par Josef Strnact junior. En 1910, elle compte près de 300 travailleurs. La manufacture est vendue en 1934 puis disparaît rapidement.
La qualité des pièces produites est nettement inférieure à la maison Amphora. La dorure est de moindre qualité et les décors sont exécutés en applique et non peint. Les majoliques sont moins fines que d'autres faïenceries de la région. Cependant, le faible coût de ce pièces leur a valu un grand succès.





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Une des grande spécialité de la maison Strnact furent les pendules et les garnitures de cheminées formées d'une pendule et de deux vases.






En 1863 Ernst Wahliss crée à Turn Teplitz une manufacture de porcelaine et faïence. Il ouvre des boutiques à Vienne et Londres. En 1894, il rachète la manufacture de Stellmacher. Il meurt en 1900 et ses deux fils Hans et Erich reprennent l'entreprise. En 1905, il donne le nom de Ernst Wahliss (E.W.) à la manufacture dont le designer est Paul Dachsel jusqu'à cette année. En 1921, la manufacture est intégrée à une plus grande structure. Elle ferme en 1934.
Les pièces de la manufacture Ernst Wahliss sont, en général très élégantes, et proche d'Amphora. A partir de 1910, l'influence de la Wiener Werkstätte est importante.









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L'autre très célèbre fabriquant de céramique de la région est Royal Dux. La manufacture est installée à Duchcov (Dux à l'époque impériale), une petite ville située à 7 km au sud de Teplice.
Située au centre des Monts Métallifères (Erzgebirg), la ville a longtemps tiré sa richesse des mines d'argent. la ville est de style baroque tout comme le château, qui a été construit par l'architecte français Jean-Baptiste Mathey (1630-1696), introducteur du style baroque en Bohème. Ce château eut des hôtes célèbres comme Gœthe, mais c'est surtout le fait que Casanova (1725-1798) ait été bibliothécaire du Comte de Waldstein et qu'il soit mort en ces lieux qui en a fait sa réputation.


La place centrale de Duchcov.




Le château de Duchcov.





La manufacture de céramique a été fondée en 1853 dans le but de fabriquer des objets utilitaires. Elle est achetée en 1860 par Eduard Eichler qui en fait une manufacture de terres cuites et de majoliques en imitation d'autres manufactures. Cette situation perdure jusque dans les années 1890, lorsque l'usine se met à produire des pièces beaucoup plus originales et de très grande qualité esthétique. En 1898, Eichler ouvre un bureau à Berlin et une seconde usine à Blankenhain près de Weimar. En 1904, Royal Dux reçoit le Grand Prix de l'exposition internationale de St-Louis.
En 1918, la fabrique allemande est revendue. Après cette date l'usine de Duchcov est resté constamment en activité.
L'éventail des production de Royal Dux entre 1880 et 1920 est beaucoup plus restreint que Amphora. Les sujets sont essentiellement des personnages et des animaux (quelques fleurs aussi) en biscuit blanc ou crème réhaussé de vieil or. Certaines pièces sont d'une élégance insurpassée dans toute la céramique de cette époque.
La production est essentiellement celle de vases, de jardinières et de statuettes.
Les vases sont souvent ornés de figures féminines, nymphes ou naïades. Ils adoptent des formes très complexes et contournés ou bien sont plutôt néoclassiques.








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De nombreux vases sont décorés de fleurs et de branches feuillues et parfois teintés de vieux rose. 


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La maison Royal Dux a été célèbre pour ses statuettes d'animaux, que ce soient des chiens, des chevaux ou des ours, qui étaient rendus avec un grand sens du mouvement et des attitudes.







Les pièces les plus célèbres de la maison Royal Dux furent sans conteste les grands surtouts de table, sorte de jardinières utilisées comme décoration des centres de table, ou les coupes ornées de nymphes ou de couples mythologiques souvent positionnés sur des conques marines. Ces pièces, parfois de très grandes dimensions, sont un des sommets de la production de céramiques durant la période Art Nouveau. On peut, cependant, regretter que les dessinateurs ne se soient pas essayés à des formes plus proches de la Sécession et soient rester prisonnier jusqu'à la Première Guerre Mondiale de formes qui avaient fait leurs succès.










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Certaines pièces sont exceptionnelles par leur taille comme cette nue, ce qui est très difficile à obtenir avec la cuisson du biscuit et sa rétraction lors du refroidissement.


La maison Royal Dux va aussi élaborer de nombreuses statuettes d'inspiration orientaliste ou antiquisante que ce soit sous forme de paire ou de scènes.






En 1829, est fondée à Bodenbach, dans le quartier de Bela (à l'époque Biela), la manufacture de majolique Schiller et Gerbing. Bodenbach (aujourd'hui Podmokly) est une ville située sur une rive de l'Elbe alors que la ville de Tetschen (aujourd'hui Decin) est installée sur l'autre. Aujourd'hui les deux villes ont fusionné sous le seul nom de Decin. A une vingtaine de kilomètres de Teplice, Decine est située au confluent de l'Elbe et de la Ploucnice.

Le centre ville baroque de Decin.


Le château de Decin.


La synagogue de Podmokly, construite vers 1880-1900.


Les bords de l'Elbe, photographie d'époque.


Gobelet en cristal de Bohème avec une vue 
de Podmokly (vers 1900).


La manufacture Schiller et Gerbing s'est spécialisée dans les pièces en majolique de style néo-baroque, voire victorien, de très grande qualité. Le décor en est très chargé. Elles sont maintenant devenus relativement rares, la majolique étant un matériau assez fragile.



En 1885, Wilhelm Schiller quitte l'entreprise et fonde avec son fils Eduard, la manufacture Wilhelm Schiller und Sohn (WS & S) toujours à Bodenbach mais dans un autre quartier, Obergrund (aujourd'hui Horni Zleb). La maison Schiller et Gerbing devient alors Gerbing et Stephan.
La manufacture Gerbing et Stephan continue la tradition de la majolique de style victorien, très ornementée. Elle ferme en 1905.








Quelques pièces de la manufacture sont cependant influencées par l'Art Nouveau, notamment dans les lignes beaucoup plus ondulantes comme dans ce vase en forme d'arum, une des plantes les plus utilisées dans les ornements de l'époque.


Toujours dans le quartier de Bela à Podmokly, une autre manufacture de majolique, faïence et porcelaine s'ouvre en 1880. Elle a été fondé par Julius Dressler. Après avoir été incluse dans une association appelée Epiag durant l'entre deux guerre, la manufacture Julius Dressler disparaît en en 1944-45. Sa fabrication est proche de celle de Gerbing et Stephan, mais très rapidement, l'entreprise va créer des formes beaucoup plus "sécessionistes" et souvent d'une grande originalité. A partir de 1910, on constate une influence de la Wiener Werkstätte et plus particulièrement de Michael Powolny.

Julius Dressler. Pièces en majolique et 
faïence de style victorien.







Julius Dressler. Pièces de style Art nouveau et Sécession.








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Julius Dressler. Pièces dans le style de la Wiener Werstätte.




La manufacture Wilhelm Schiller et Sohn a fonctionné de 1885 à 1914. Sa fermeture a été provoqué par la Première Guerre Mondiale, car le nombre d'ouvriers engagés dans le conflit était trop important pour permettre de maintenir l'activité de l'usine. Cette fermeture fut définitive.
Pendant une grande partie de son activité, la manufacture a perpétué la tradition de la majolique de style victorien comme Gerbing et Stephan, produisant des pièces très proches de cette autre fabrique.








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A partir de 1905 environ, la maison Wilhelm Schiller et Sohn se met à fabriquer des pièces nettement plus influencées par l'Art Nouveau et la Sécession : simplification des formes, utilisation de motifs végétaux.




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Dubi (Eichwald) est une petite ville située à 4 km au nord de Teplice. Petite station thermale, elle est connu aussi par son église de l'Immaculée Conception, construite entre 1898 et 1906. C'est une des rares églises construites en style gothique vénitien en dehors de la péninsule italienne.

Vue générale de Eichwald (Dubi), d'après une 
carte postale ancienne. 


L'église de l'Immaculée Conception de Eichwald (Dubi), 
d'après une carte postale des années 1910.


Dubi. Eglise de l'Immaculée Conception, état actuel.


En 1864, Anton Tschinkel fonde une manufacture de majolique à Dubi. En 1874, elle commence la fabrication de porcelaine. Après la crise des années 1880, la fabrique est rachetée par Teichert qui vient de Meissen. En 1895, la manufacture est de nouveau cédée à Bernhard Bloch qui va la développer et en faire une des manufactures les plus importantes du pays. Les pieces sont gravées des initiales BB ou du nom Eichwald, selon qu'elles sont en faïence mate ou en majolique. Elle est confisquée par les nazis en 1939, puis nationalisée en 1947. Elle est toujours en activité.
Les formes des faïences Bernhard Bloch sont très marquées par l'esthétique de l'Art Nouveau. Elles optent pour une plus grande simplification qu'Amphora ou Royal Dux. Le répertoire des couleurs est assez restreint : ocre, vert, gris-bleu, crème.







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La manufacture B. Bloch va aussi fabriquer des objets orientalistes, notamment des pots à tabac.


Les majoliques, signée (parfois) Eichwald, sont de très grande qualité. Les formes sont souvent très complexe avec des courbes et des contres-courbes. On trouve des surtouts de table ornés de conques, de barques, de naïades, de chérubins, dans un esprit résolument baroque.



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A partir de 1905, les majoliques prennent des formes moins baroques et se rapprochent de la Sécession viennoise. On arrive à une certaine austérité.





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Vers 1910, sous l'influence du designer Carl Klimt (1876-1945), la manufacture oriente la fabrication vers des pièces très inspirés par Michael Powolny.





Une autre zone de production importante de céramique durant les années 1880-1920 en Bohème est la région de Kalrsbad (Karlovy Vary aujourd'hui). A l'ouest de Prague, c'est une zone voisine du sud de la Saxe et du nord-ouest de la Bavière.

La zone de Karlsbad est entourée en bleu sur la carte.


Tout comme Teplice, Karlovy Vary est une station thermale, dont la source la plus chaude est à 73 °C. La ville a été fondée par l'Empereur Charles IV en 1370, au confluent de l'Ohre (Eger en allemand) et de la Tepla qui est une rivière aux eaux tiédies par les sources chaudes et qui selon la légende, ne gèle jamais, même par les hivers les plus froids. Karlsbad fut une des station thermales plus plus célèbres entre 1880 et 1914. Clémenceau était un habitué, tout comme Freud et de nombreuses autres célébrités. L'architecture de la ville date essentiellement de cet âge d'or, qui s'acheva en 1914.

Vue panoramique de la ville de Karlovy Vary.


Quelques vues de la ville dans son état actuel.





La synagogue de Karlsbad vers 1900.



La Sprüdelgalerie, abritant la source la plus chaude de Karlsbad, vers 1900.



La source Sprüdel vers 1910.


Le Kaiserbaden de Karlsabd construit en 1895 
par Fellner et Helmer, vers 1900.


Des villas à Karlsbad, vers 1900.


La salle de bal d'un des grands hôtels de Karlsbad. 1895.


Le théâtre de Karlsbad construit par 
Fellner et Helmer en 1886, vers 1900. 


L'église orthodoxe de Karlsbad st Pierre et Paul construite en par G. Wiederman, un architecte local originaire d'une autre ville thermale voisine Frantizkovy Lazne, en 1897, vers 1900.


L'église orthodoxe dans son état actuel.


C'est dans la banlieue nord de Karlsbad, à Altrohlau (aujourd'hui Stara Role), que les fabriques de porcelaine sont situées. La première est fondée par Benedikt Hasslacher en 1810. En 1870, c'est une des plus importantes manufactures d'Autriche avec 800 ouvriers. Après la crise de 1880, elle est rachetée en 1884 par le banquier Moritz Zdekauer. Pendant cette période, les pièces sont signées MZ (Moritz Zdekauer). La manufacture est revendue en 1909 au porcelainier allemand Hutschenreuter. L'usine fonctionne toujours, aujourd'hui.
Sans rivaliser avec les pièces produites dans la région de Teplice, la maison Zdekauer a fabriqué de beaux objets utilitaires.





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C'est dans le même quartier que s'est établi en 1883, une seconde manufacture importante, Victoria. Elle a été fondée par Lazarus et Rosenfeld et racheté en 1885 par Franz Schmidt. Comme la précédente, elle a fabriqué en majorité de la porcelaine utilitaire mais aussi quelques pièces intéressantes dans le style Biedermeier avec une petite touche Art Nouveau.




Incontestablement, la grande figure de la céramique Art Nouveau en Autriche est Friedrich Goldscheider. Né à Pilsen (aujourd'hui Plsen) en Bohème en 1845, il fonde la manufacture Goldscheider à Vienne en 1885 et ouvre des succursales à Paris, Florence et Leipzig. Il meurt en 1897, mais son entreprise  lui survit et se développe jusque dans les années 60. L'entreprise a su employer des designers prestigieux comme Michael Powolny pour la période qui nous intéresse. 
Ce sont particulièrement les terres cuites qui ont rendu célèbre la maison Goldscheider et notamment, les terres cuites orientalistes.













D'autres pièces sont de style purement Art Nouveau.












Il est temps de parler du créateur de céramique le plus important de Vienne durant la période de la Sécession et même au delà. Il s'agit de Michael Powolny. Il est né à Judenburg en Styrie en 1871. De 1894 à 1901, il est élève à l'Ecole des Arts Appliqués de Vienne (comme la majorité des artistes de cette époque). En 1906, il fonde la Wiener Ceramics en association avec Berthold Löffler (1874-1960).  La Wiener Ceramics est indissolublement liée au mouvement de la Wiener Werkstätte.
Je reparlerai plus tard de la Wiener Werkstätte, qui est l'association des artistes les plus importants de la Sécession viennoise dans une optique semblable à celle du mouvement Arts and Craft en Angleterre, à savoir, rassembler l'artisanat et l'art afin de créer une esthétique de l'habitation accessible au plus grand nombre. La Wiener Werkstätte fut fondée par l'architecte Josef Hoffman (1870-1956) et le peintre Koloman Moser (1868-1918). Les deux œuvres phares de la Wiener Werstätte sont le Sanatorium de Purkersdorf (1904-1906) à côté de Vienne et le Palais Stoclet (1905-1911) à Bruxelles. Je reviendrai longuement sur ces deux constructions.
En 1913, la Wiener Ceramics s'associe avec la manufacture de Gmünden.

Photographie de Michael Powolny (date inconnue).


Il est professeur à l'Ecole des Arts Appliqués de Vienne de 1909 à 1936. Il meurt à Vienne en 1954.
Powolny, dans ses céramiques, rompt avec les séductions de l'Art Nouveau pour en arriver à des formes très simplifiées, qui annonce parfois un certain cubisme. Un de ses sujets favoris étaient les putti. Beaucoup de ses créations ont été faites avec Berthold L öffler.















Statuette représentant Johann Wolfang Gœthe.




L'associé de Powolny, Berthold Löffler est né à Nieder Rosenthal (aujourd'hui Ruzodol) à l'est de Reichenberg (aujourd'hui Liberec) en Bohème, en 1874. Il sera designer et affichiste.

Photographie de Berthold Löffler (date inconnue).


Il est professeur à l'Ecole des Arts Appliqués de Vienne de 1909 à 1935 et de ce fait, compte Oscar Kokoschka (1886-1980) comme un de ses élèves. Il meurt à Vienne en 1960.

Etude de jeune homme. Mine de plomb (1910)


Affiche pour le cabaret Fledermaus (la Chauve souris), 
le plus célèbre de Vienne (1907).


La diseuse Marya Delvard au cabaret 
Fledermaus (1907).


Affiche pour l'exposition de la 
Wiener Werkstätte en 1908.


Deux pièces en céramique.



Deux pièce en céramique créées en association 
avec Michael Powolny.




Ainsi se clôt ce chapitre sur la céramique autrichienne pendant la période de l'Art Nouveau. Il n'est évidemment pas exhaustif. Il a simplement cherché à évoquer les tendances de l'art de la céramique dans la partie germanique de la Double Monarchie à cette période. Il est bien évident que je parlerai de la céramique hongroise, un peu plus tard.