Emile Nelligan est considéré aujourd'hui comme un des plus grands écrivains de langue française du Canada, alors que sa carrière s'est arrêtée à l'âge de 19 ans et qu'il n'a publié aucun livre. Parfois comparé à Rimbaud pour la précocité de son génie et pour la brièveté de sa carrière, contrairement au français, Nelligan n'a pas voyagé. Interné en 1899, il ne fera qu'un long voyage intérieur qui se terminera un jour d'hiver 1941.
Emile Nelligan est né à Montréal en 1879. Sa mère est de langue française, mais son père est irlandais et Emile signera longtemps Nelhigan. Le poète a une enfance aisée avec ses deux sœurs à Montréal.
Une des rares photographies d'Emile Nelligan,
ici à l'âge de 12 ans.
Comme toute beaucoup de famille bourgeoise, les Nelligan ont une résidence d'été à Cacouna, port à la mode située le long de L'estuaire du St-Laurent.
Photographies de la plage et du st-Laurent à
Cacouna. Vers 1900.
De belles demeures de style coloniales sont construites à cette période, dont certaines sont encore conservées.
Certaines familles anglophones très riches, originaires de Toronto ou des Etats-Unis voisins font édifier de véritables châteaux. C'est le cas de Sir Montagu Allan (1860-1951), industriel, avec le Manoir Montrose qui est construit vers 1900.
La famille de Nelligan étant catholique, elle fréquente l'église du village qui a été construite en 1845. Cette église est typique par son extérieur en pierre assez austère et son intérieure décorée de boiseries peintes et dorées en style néo-Louis XIV, qui rappelle le style des grandes églises de Québec de l'époque de Champlain. Le presbytère date de 1836.
L'église catholique de Cacouna.
Le presbytère.
C'est à Cacouna que le jeune Emile, à 17 ou 18 ans rencontrera son premier et son seul amour.
Elève intelligent, mais peu passionné par ce qu'on fait à l'école, il entre au Collège de Montréal en 1893 mais rate sa première année. Il redouble l'année suivante sans beaucoup plus de succès.
A cette époque, tout l'enseignement au Québec est tenu par l'église catholique. Il faudra attendre les années 1970 et la Révolution Douce pour que l'emprise de l'église diminue considérablement.
Le Collège de Montréal est située dans l'ancien petit séminaire. Les bâtiments date de des années 1870.
Le Collège de Montréal. Photographie de 1859.
Vues actuelles du Collège de Montréal.
L'intérieur de la chapelle construite en 1881-1883 par Victor Bourgeau et Alcide Leprohon. Photographie de 1911.
Afin de lui mettre un peu de plomb dans la tête, le père, qui est inspecteur des postes, prend Emile en main et l'emmène lors de ses tournées d'inspection dans le district de Montréal.
En 1896, Emile Nelligan reprend le chemin de l'école, au Collège Sainte-Marie de Montréal, cette fois. Le Collège Sainte-Marie était un établissement jésuite au statut très particulier puisqu'il était affilié, à l'époque de Nelligan, à l'Université Laval. Il ne donnait pas de diplôme mais ses cours, étalés sur 8 ans, étaient à cheval entre le lycée et l'université. Compte-tenu des nombreuses relations que le collège entretenaient avec des grandes universités, les étudiants pouvaient suivre un cursus d'excellente qualité débouchant sur une carrière universitaire.
Actuellement, des bâtiments qu'a connu Nelligan, il ne reste que la chapelle rebaptisé église du Gesu, l'incorporation du collège à l'UQAM (Université du Québec à Montréal) ayant entrainé la démolition des vieux bâtiments. Construite au milieu du XIXème siècle, elle adopte un style néo-baroque, rappelant l'Eglise du Gesu à Rome (XVIIème siècle) ou se trouve le tombeau d'Ignace de Loyola.
Facade de l'église du Gesu, Montréal.
Intérieur de l'église du Gesu.
Mais Nelligan ne réussira pas mieux chez les jésuites qu'au Collège de Montréal. En revanche la muse le titille et il publie son premier poème dans le journal Le Samedi de Montréal en 1896, il a alors 16 ans. Il a pris, pour la circonstance, le pseudonyme d'Emile Kovar.
Pour être honnête, on est encore loin de Rimbaud. Lors d'un bref entretien que le poète a eu en 1937 avec un journaliste, lors d'une période de relative clairvoyance, parmi ses poètes préférés, il cite Musset, Hugo, Rimbaud, Verlaine et Rollinat. Disons que, dans ce premier poème publié, on est plus près des Parnassiens que des Névroses (1883) de Maurice Rollinat (1846-1903).
Toujours en 1896, le jeune poète se lie d'amitié avec l'écrivain Arthur de Bussières (1877-1913) qui, à 19 ans, vient d'être admis à l'Ecole littéraire de Montréal toute nouvellement fondée.
Dans un Québec sans tradition littéraire, L'Ecole littéraire de Montréal (1895-1935) cherche à cultiver les lettres. Trente membres au maximum en font partie. Lors des réunions, ceux-ci lisent lors production devant un public, cherchant à acquérir la plus grande notoriété. La majorité des écrivains québécois du début du siècle ont participé à ce cénacle, comme Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) ou Alphonse Beauregard (1881-1924).
La première réunion de l'Ecole littéraire de Montréal s'est tenue à l'hôtel de ville, grand bâtiment de style Napoléon III qui domine la place Jacques Cartier.
Photographie de l'Hôtel de ville de Montréal dans
son état actuel.
L'Hôtel de ville de Montréal tel que l'a connu Nelligan,
avant l'incendie de 1924.
A partir de le seconde réunion, c'est le château Ramezay qui sera chois pour les séances. Ce bâtiment, lieu d'habitation de Claude de Ramezay, gouverneur de Montréal, à partir de 1705, a été reconstruit en 1750 puis a subit des fortunes diverses, ajouts, démolitions, transformations. A partir de 1895, il devient un musée appartenant à la Société d'archéologie et de numismatique de Montréal.
Le château Ramezay en 1886. Aquarelle.
Georges Delfosse (1869-1939). Le château Ramezay.
Aquarelle, vers 1900.
Vues extérieures du château et des jardins. Etat actuel.
Intérieur du château Ramezay.
Durant la plus grande partie de sa courte vie de poète, Nelligan a vécu avec sa famille avenue Laval, non loin du Carré St-Louis qui est sans doute la plus belle place de Montréal, entourée de maisons de style victorien apanage de la bourgeoisie franco-canadienne.
Le Carré St-Louis et ses maisons victoriennes.
Selon la légende, dans l'euphorie de la création littéraire, Emile Nelligan venait danser la nuit autour de la fontaine. Pour lui rendre hommage, son buste a été installé il y a quelques années (2005) sur la place.
En 1897, parrainé par Joseph Mélançon (sur lequel je n'ai trouvé aucune information), il entre à l'Ecole littéraire de Montréal dont il suivra assidument les séances. Dès cette époque, son équilibre psychologique parait assez fragile. Il est sujet à des accès de dépression, précédant des périodes d'euphorie. Curieusement, il en démissionne un mois après, imitant en cela, son parrain. Il écrit abondamment mais son œuvre est rarement publié car elle se heurte au traditionalisme ambiant. La littérature québécoise, à la fin du XIXème siècle est encore très patriotique, d'autant que les querelles linguistiques sont encore très vives. Or Nelligan parle de son angoisse de vivre, de l'amour ou de la mort. C'est un "enfant du siècle" comme disait Musset mais dans un pays en plein boum économique, qui ne s'intéresse guère au spleen d'un jeune homme mal dans sa peau.
Salons Allemands. Poème autographe de Nelligan offert
pour le mariage d'un membre de l'Ecole Littéraire
de Montréal, Louis-Joseph Béliveau. 1897.
Il a décidé de ne pas retourner au collège et de consacrer sa vie à la poésie. Il mène une vie de bohème que son père n'apprécie guère. Au printemps 1898 celui-ci expédie son fils à Liverpool comme matelot sur un bateau. Il espérait sans doute qu'Emile deviendrait marin, mais celui-ci revient précipitamment en septembre pour des raisons encore actuellement inconnues. Comptable dans une entreprise pendant une quinzaine, il est réintégré dans l'Ecole littéraire de Montréal en décembre de la même année.
Seule photographie connue d'Emile Nelligan à 19 ans.
Une de ses grandes passions est la musique. Sa mère lui a appris le piano et comme beaucoup d'artistes de l'époque, tel Wilde, il est un inconditionnel de Chopin.
Le 26 mai 1899, il est invité à donner en lecture trois poèmes lors d'une séance de L'Ecole littéraire. Il y déclame son poème le plus célèbre, La Romance du Vin. C'est une tel succès, qu'Emile Nelligan est porté en triomphe par le public subjugué.
D'autres poèmes de Nelligan montre de l'adolescent prodige une face beaucoup plus sombre, qui, petit à petit, va engloutir l'esprit du poète dans une totale obscurité. Le plus caractéristique de ces poèmes est Le vaisseau d'or qui semble annoncer le naufrage psychique de Nelligan.
Certains poèmes de la fin de la brève carrière de Nelligan ont une résonnance nettement baudelairienne comme Le Spectre ou La terrasse aux spectres. Ce dernier texte semble, en outre être très influencé par certains contes d'Edgar Poe comme La chute de la maison Usher.
Le 9 août 1899, Emile Nelligan est interné à l'asile St-Benoît-Joseph-Labre à la demande de ses parents inquiets de son comportement de plus en plus erratique. Très rapidement, les médecins vont déceler une grave psychose.
Photographie de l'Asile St-Benoît-Joseph-Labre.
Le bâtiment, construit en 1883, laissé à l'abandon en 1988, fut détruit par le feu en 1990.
Il laisse inachevé son premier recueil qui devait s'appeler Le Récital des Anges. Le première édition de 1903, incomplète, de ses œuvres, comporte 107 poèmes. Elle est l'œuvre de Louis Dantin (de son vrai nom Eugène Seers, 1865-1945), critique et romancier, lui aussi membre de l'Ecole littéraire de Montréal.
Louis Dantin. Emile Nelligan et son œuvre,
couverture. 1903.
Lors des rééditions successives, de nouveaux textes seront ajoutés. Le corpus total de l'œuvre de Nelligan compte 170 poèmes.
En 1925, Nelligan est transféré à l'asile St-Jean-de-Dieu encore appelé asile de Pointe-Longue, fondé en 1873.
Photographie de l'asile St-Jean-de-Dieu, Montréal. 1911.
Une salle commune de l'asile.
La pharmacie vers 1930.
Un dortoir. 1911.
Il semble que Nelligan résidait dans une chambre et non en dortoir. C'est en tout cas ce qu'explique le journaliste qui a été le voir en 1937. Pendant toute le restant de sa vie, Nelligan déclamera ses poèmes à ses visiteurs et les réécrira sans cesse. Il meurt en 1941.
Photographie d'Emile Nelligan en vers 1920.
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