Gustave-Adolphe Mossa a passé la plus grande partie de sa vie à Nice. Fils de peintre, il est né en 1883. L'essentiel de son œuvre date d'avant 1918, la Guerre de 14 ayant littéralement fracturée sa vie comme ce fût le cas pour de nombreux combattants.
Grand lecteur des auteurs symbolistes, il est élève aux Arts Décoratifs de Nice pendant que son père l'initie à la peinture de paysage. La visite de l'Exposition Universelle de 1900 est un choc. Il est converti à l'Art Nouveau. Il reprendra alors tous les thèmes du symbolisme un peu décadent des années 1900-1910 et notamment, une angoisse de la figure féminine.
Il expose sa première toile en 1901 alors qu'il commence à écrire ses premières pièces.
Salomé ou Prélude du Christianisme. Aquarelle, 1901.
Photographie de Gustave-Adolphe Mossa vers 1910.
Mossa occupe en France un peu la même place que Spilliaert en Belgique. Symboliste hyper-tardif, sa peinture prend un aspect caricatural et terrifiant. En revanche, chez lui les visions nocturnes sont remplacées par une très grande culture littéraire qui le pousse à moderniser les mythes chrétiens et antiques à la manière de Jules Laforgue (1860-1887) dans ses Moralités Légendaires (1887).
Ce support littéraire est patent dans le tableau Salomé ou le goût du sang (1904) où Mossa fait à l'évidence référence au monologue de Salomé dans la pièce éponyme de Wilde (1892) dans lequel la petite princesse (chez Mossa c'est une enfant qui joue à la poupée) demande si le goût du sang est le goût de l'amour. Au moment où Freud explore l'inconscient, Mossa nous pose la question de l'innocence enfantine. Troublante rencontre !
Encore Salomé. Aquarelle, 1905.
Il fait plusieurs voyages en Italie avec son père en 1902 et 1903. Il est marquée par la peinture du Quattrocento.
C'est sous l'influence de son premier voyage qu'il peint l'étrange Ephèbe à la Tarasque (1902), entre Académisme et Symbolisme, entre Lecomte du Nouÿ et Von Stück.
A mon avis les deux peintres avec lesquels il a le plus d'affinités sont Cosmé Tura et Carlo Crivelli par une obsession maniaque du détail et de la décoration.
Ce support littéraire est patent dans le tableau Salomé ou le goût du sang (1904) où Mossa fait à l'évidence référence au monologue de Salomé dans la pièce éponyme de Wilde (1892) dans lequel la petite princesse (chez Mossa c'est une enfant qui joue à la poupée) demande si le goût du sang est le goût de l'amour. Au moment où Freud explore l'inconscient, Mossa nous pose la question de l'innocence enfantine. Troublante rencontre !
Salomé ou le goût du sang. Aquarelle, 1904.
L'année suivante, il revient sur le thème de Salomé avec une œuvre encore plus énigmatique puisque le rapport entre la fille du Tétraque de Judée et le Baptiste semble inversé puisqu'il semble bien que ce soit la main du saint qui tienne la Princesse. Etrange rapport entre le victimaire et sa victime.
Encore Salomé. Aquarelle, 1905.
C'est sous l'influence de son premier voyage qu'il peint l'étrange Ephèbe à la Tarasque (1902), entre Académisme et Symbolisme, entre Lecomte du Nouÿ et Von Stück.
L'Ephèbe à la Tarasque. Huile sur toile, 1902.
La Sirène repue. Aquarelle, 1905.
La Sirène repue est un bon exemple de l'art de Mossa. Le personnage, déformé, semble trop grand pour être dans le cadre. Le malaise est toujours patent. Un autre exemple est donné par un des tableaux les plus célèbres de Mossa, Elle. Une femme, hypersexualisée, à la poitrine colossale, est couchée sur un amas de corps sanglants et couronnée d'un diadème de crânes. Thanatos et l'Eternelle Féminin ne font qu'un.
Elle. Huile sur toile, 1906.
Mossa choisit toujours de réinterpréter des mythes qui font intervenir des femmes séductrices et dominatrices qui entraînent l'homme à la catastrophe, Hélène, Salomé, Dalila ou des figures mythologiques liées à la mort, Thanatos, les Parques ou les Sirènes. La plupart du temps, les femmes sont vêtues à la mode de la Belle Epoque, robe longue et invraisemblable chapeau à plumes ou à fleurs.
Le Baiser d'Hélène. Aquarelle, 1905.
Dalila s'amuse. Aquarelle, 1905.
Les Parques. Aquarelle, 1907.
Leda. Aquarelle, 1907.
Certaines œuvres sont beaucoup plus énigmatiques comme Le Fœtus (1905), par exemple. On voit une femme se poudrer pendant qu'un homme semble l'attendre. Une scène classique, presque un pastiche de la Nana (1877) de Manet bien que le rapport des personnages soit inversé puisque chez Mossa, la femme est assise et l'homme est debout. Mais au premier plan, posé sur une table, on voit une sorte de reliquaire néo-baroque qui contient un fœtus. Est-ce le symbole d'une maternité à jamais évanouie ?
Edouard Manet. Nana. Huile sur toile, 1877.
Mossa. Le Fœtus. Aquarelle, 1905.
Peut-être faut-il rapprocher cet énigmatique et dérangeant tableau d'un autre de la même année, Le Système du Docteur Forceps. On peut supposé que le sinistre personnage au premier plan, vêtu d'un cape aux motifs mortuaires, va se livrer à un avortement sur la femme couchée dans le lit. Les petits fantômes de fœtus qui planent sur le côté droit inclinent à cette interprétation.
Le système du Docteur Forceps. Aquarelle, 1905.
La trilogie s'achève par l'Autoportrait surchargé de symboles du peintre, daté aussi de 1905. Le mur derrière la figure centrale est ornée de trois tableau. Les deux latéraux sont des paysages italiens, mais le tableau centrale représente une femme tenant un fœtus. Difficile de faire une interprétation de ce détail comme de la présence sur le corps du peintre d'un serpent et d'un scorpion.
Autoportrait. Aquarelle, 1905.
Même s'il est difficile de rapprocher l'art de Mossa de celui d'autres artistes, certains tableaux montre, à mon avis, l'influence de Félicien Rops (1833-1898). Le grand artiste belge partageait avec Mossa une vision noire de la féminité et un certain penchant pour les mises en scène macabres. Deux tableaux de Mossa, en particulier, peuvent être mis en rapport avec l'univers de Rops, Circé (1904) et Marie de Magdala (1907). Le premier est une illustration de l'épisode de l'Odyssée, où l'enchanteresse transforme les compagnons d'Ulysse en cochons. Dans le tableau de Mossa, Circée règne véritablement sur un troupeau d'admirateur. Comment ne pas rapprocher cette image du célèbre Pornocratès (1896) de Rops, dans lequel une femme aux yeux bandés (sans doute une prostituée), nue et coiffée de plume tient en laisse un cochon. Les deux artistes partagent sans aucun doute la même vision très sombre de l'humanité.
Félicien Rops. Pornocratès. Aquarelle, 1896.
Mossa. Circé. Huile sur toile, 1904.
Dans son tableau Marie de Magdala, Mossa représente la pécheresse en tenue de prostituée et crucifiée. Le rapprochement avec le Pornocratès peut bien sûr s'effectuer mais aussi avec un autre tableau de Rops, La Tentation de Saint-Antoine (1878), ou l'ermite a la vision d'une somptueuse femme nue attachée à la Croix. Le mot Eros remplace les traditionnelles intiales INRI. Mossa, lui, place sa signature au dessus du chapeau de Marie de Magdala.
Félicien Rops. La Tentation de St-Antoine.
Huile sur toile, 1878.
Mossa. Marie de Magdala. Aquarelle, 1907.
Dans certaines œuvres particulièrement caricaturales et plutôt reliées aux mythes bibliques, on peut peut-être distinguer l'influence du trait d'Aubrey Beardsley comme dans son Entrée d'Hérodiade (1893) tiré de ses illustrations pour la Salomé de Wilde.
Beardsley. Entrée d'Hérodiade. Lithographie, 1893.
Mossa. Suzanne et les vieillards. Aquarelle, 1906.
David et Bethsabée. Aquarelle, 1906.
En 1905, Mossa fait sa première exposition personnelle dans sa ville natale. En 1908, il se marie. En 1909, nouvelle exposition à Nice avec son père.
Son père, qui était conservateur du Musée de Nice depuis 1886, était aussi imagier du carnaval. Il est possible que cette activité ait influencé le côté caricatural des personnages de Gustave-Adolphe Mossa et aussi la présence du personnage de Pierrot.
Lui est un étrange tableau dans lequel on voit un personnage androgyne, vétu et fardé de blanc comme un Pierrot, se regarder dans un miroir pendant qu'une foule d'hommes en tenue de soirée s'approche, le tout dans un décor antique et oriental. Il semble qu'il existe un autre titre plus explicite : Elagabale s'admirant dans le miroir, reprenant la légende de l'empereur romain efféminé très en vogue dans les milieux décadentistes. En étant prudent, on peut interpréter le personnage principal comme une autocaricature sans en tirer aucune conséquence.
Lui. Aquarelle, 1906.
Le même personnage se retrouve dans un autre tableau, Œdipe vainqueur peint aussi en 1906. Déchiré, défait, Œdipe (si c'est bien lui), étrangle une femme qui est peut être Jocaste. La victoire d'Œdipe serait alors double, avoir triomphé du destin et avoir repoussé le tabou de l'inceste. Mossa avait-il lu Freud ?
Œdipe vainqueur. Aquarelle, 1906.
Toujours en 1906, Mossa peint un autre tableau baptisé Pierrot s'en va. On y voit toujours le même personnage costumé en Pierrot tenant un couteau ensanglanté alors qu'un couple s'éloigne, l'homme soutenant la femme (peut-être blessée par Pierrot) et qu'une foule de personnages nus semble se rassembler devant les murs d'une ville gothique. L'espèce de grouillement des corps nus n'est pas sans évoquer Luca Signorelli (1450-1524) dont on peut supposer qu'il était connu par Mossa.
Pierrot s'en va. Aquarelle, 1906.
Détail de la zone médiane.
Luca Signorelli. Les Elus, Chapelle San Brizio,
Cathédrale d'Orvieto. Fresque, 1499-1502.
Tout aussi énigmatique est son Eloge de la Folie (1906) qui n'a que peu de chose à voir avec le texte d'Erasme. Un Pierrot regarde, angoissée une poupée de chiffon pendant que se déroule une procession devant une espèce de Tour de Babel qui évoque lointainement celle de Bruegel. Au premier plan, Mossa a disposé un exemplaire de l'Eloge de la Folie. Personnellement je décèlerais dans cette toile certaines convergences avec l'œuvre antérieure à 1900 de James Ensor.
L'Eloge de la Folie. Huile sur toile, 1906.
C'est l'année de son mariage (1907) qu'il peint cette Eva Pandora dont le dessin semble beaucoup plus influencé à la fois par la Sécession Viennoise et par Khnopff, que le reste de son œuvre. C'est en tout cas une femme qui joue avec l'homme qu'elle tient dans sa main, et avec le sort.
Eva Pandora. Huile sur toile, 1907.
Il peint aussi un classique du décadentisme de la Belle Epoque, Sapho et ses amours lesbiens. Alors que chez de nombreux peintres, comme De Feure, les amours saphiques n'étaient que suggérés, ils sont ici affirmés. Remarquons que, pour une fois, les deux femmes n'affichent pas une fausse innocence et qu'il n'y a ni fœtus, ni couteau, ni squelette. C'est un des seuls tableaux de Mossa de cette période qui soit relativement détendu.
Sapho. Huile sur toile, 1907.
Comme chez tous les Symbolistes, la mort est omniprésente comme nous l'avons vu avec le tableau Elle. Dans les années 196-1908, qui est sans doute la période la plus intense de la production du peintre, des tableaux particulièrement impressionnants lui sont dédiés.
Thanatos. Aquarelle, 1906.
La Valse macabre (1908) a peut être été inspiré à Mossa par la Valse Triste de Sibelius. En effet, elle est tirée d'une musique de scène pour un drame de l'écrivain finlandais Arvid Jarnefelt (1861-1932), La Mort (Kuolema créé en 1903), dans lequel une jeune fille danse avec un squelette sur le thème de Sibelius. Le tableau sera exposé la même année au Salon d'Automne à Paris.
Jean Sibelius. Valse Triste. The deutsche
Kammerphilharmonie Bremen. direction,
Paavo Järvi, 2006.
Valse Macabre. Aquarelle, 1908.
Les Mortes. Huile sur toile, 1908.
A partir de 1908-1909, le style de Mossa est plus détendu. En 1909, il envoie trois aquarelles déjà anciennes (dont Marie de Magdala) et une huile qu'il vient d'achever, Le Coq et la Perle, qui est une interprétation libre de la fable de La Fontaine, au Salon d'Automne. Il quitte le domaine de l'inquiétant pour celui du grotesque.
Le Coq et la Perle. Huile sur toile, 1909.
Déjà, l'année précédente, il produisait Salomon, une œuvre marquée par la miniature médiévale.
Salomon. Aquarelle, 1908.
En même temps qu'il produit une œuvre inquiétante marquée par un symbolisme morbide, Mossa aura aussi une activité de paysagiste de facture très classique. C'est du reste cette partie de son œuvre qui est le plus appréciée lors de ses expositions niçoise.
L'Aiguille de la Sablonnière. Aquarelle, 1910.
1911 est une année très importante pour deux raisons. D'abord, la Galerie Georges Petit à Paris organise une grande exposition de ses œuvres symbolistes, exposition qui remporte un grand succès. Ensuite, il séjourne en Belgique et découvre les vieilles cités comme Bruges et la peinture flamande du XVème siècle qui le marque durablement. Son style évolue vers une plus grande précision du trait. Le tableau le plus caractéristique de cette tendance est Bruges la Morte. Le titre fait référence au livre le plus fameux de Georges Rodenbach (1855-1898), publié en 1892. Le tableau illustre la scène finale ou le héros étrangle une comédienne à la ressemblance frappante avec sa défunte bien-aimée. Curieusement, Mossa travaille à rebours par rapport à son habitude, puisqu'il place au Moyen-Age, une scène qui se passe au XIXème siècle dans le roman. Le décor est d'une précision maniaque, même si Mossa place des édifices brugeois en des lieux où il ne sont pas.
Bruges la Morte. Huile sur toile, 1911.
Une autre œuvre est spécifiquement liée à Bruges, La Châsse de Ste-Ursule. Mossa reprend la légende en nous montrant la sainte percée de flèches (selon la légende, par des huns) face à des soldats minuscules. Elle porte, très reconnaissable, la Châsse de Sainte-Ursule, décorée par Hans Memling (vers 1489) et déposée à l'Hospice St-Jean de Bruges. On reconnait au loin le clocher de l'église Sainte-Marie.
Hans Memling (vers 1440-1494). Châsse de
Sainte Ursule, Bruges. Vers 1489.
Mossa. La Châsse de Sainte-Ursule. Aquarelle, 1911.
Mossa expose à Nice en 1912, ses œuvres consacrés à Bruges et les Flandres. Entre 1912 et 1914, il fera encore deux expositions avant d'être mobilisé en 1914. En Novembre 1914, il est gravement blessé lors de la première bataille d'Ypres proche de la frontière franco-belge. Après son rétablissement, il commence une série d'œuvres consacrée à la guerre et situées dans la ville martyr d'Ypres. Le fil conducteur en est la légende de Persée.
Persée. Aquarelle, 1916.
La seconde se situe devant la Halle aux draps, magnifique bâtiment du XIVème siècle qui fut rasé comme l'ensemble de la ville pendant la Guerre. On voit aussi la Cathédrale. Les deux bâtiments sont encore intacts.
La Gorgone. Aquarelle, 1916.
Ypres, La Halle aux Draps en 1911.
Le même bâtiment en 1915.
La Halle aux draps à la fin du conflit.
La dernière œuvre symboliste de Mossa est le Sourire de Reims (1918) où l'on voit l'ange au sourire apparaître à une pénitente. Rappelons que la Cathédrale de Reims était en ruine à la fin de la guerre.
Le Sourire de Reims. Aquarelle, 1918.
Photographie de la cathédrale de Reims en 1918.
L'Ange au Sourire de Reims.
L'œuvre symboliste de Mossa est entièrement terminée. L'essentiel de son travail graphique est désormais la peinture de paysage et l'illustration, notamment pour le Carnaval de Nice.
Différentes illustrations pour le Carnaval de Nice.
En 1926, après la mort de son père, Gustave-Adolphe Mossa lui succède comme conservateur du Musée de Nice.
Photographie de Gustave-Adolphe Mossa vers 1940.
Ayant tout fait pour qu'on oublie son œuvre antérieure à la Guerre de 14, il meurt d'une crise cardiaque en 1971, à 88 ans. Son œuvre géniale est redécouverte à partir des années 80.
On peut ici reprendre le parallèle avec Léon Spilliaert qui changera aussi totalement sa manière après la Guerre de 14. L'un peindra des arbres et l'autre des chars de carnaval.
A découvrir où à re-découvrir
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