Lucien Lévy (plus tard Lévy-Dhurmer) est né à Alger en 1865. Il entre à l'école communale supérieure de dessin et de sculpture du 11ème arrondissement de Paris en 1879. Il participe à sa première exposition en 1882, à l'âge de 17 ans. Elève brillant mais pauvre, il travaille comme lithographe puis de 1887 à 1895 comme céramiste chez Clément Massier (1844-1917) à Golf-Juan.
Les Massier sont une véritable dynastie de la céramique de la région de Vallauris. Je reviendrai sur ces artistes. Entre 1887 et 1892, Levy-Dhurmer fait des recherches sur les faïences à reflets métalliques. A partir de 1892, il devient directeur artistique de la manufacture. Il signe les pièces conjointement avec Clément Massier.
Lévy-Dhurmer. Vase Vagues et poissons.
Faïence à reflets métalliques.
Lévy-Dhurmer. Cache-pot à décor floral.
Faïence à reflets métalliques.
Lévy-Dhurmer. Vide-poche. Faïence à reflets métalliques.
Lévy-Dhurmer. Vase à décor végétal. Faïence.
Lévy-Dhurmer. Vase à décor d'iris. Faïence.
Lévy-Dhurmer. Coupe aux chauves-souris.
Faïence à reflets métalliques.
Lévy-Dhurmer et Massier. Pied de lampe. Faïence à
reflets métalliques et bronze doré.
Lévy-Dhurmer et Massier. jardinière à décor de feuilles et
de hannetons. Faïence à reflets métalliques et
bronze doré et patiné.
Pour autant, Levy-Dhurmer n'abandonne pas la pratique de la peinture. En 1894, il participe à une exposition baptisée, Peintres de l'âme, où est réunie la fine fleur de la peinture symboliste, Aman-Jean, Alphonse Osbert, Alexandre Séon ou Carlos Schwabe. Sa technique favorite est le pastel.
C'est pendant la décennie 1890-1900 que le peintre produit l'essentiel de son œuvre. Comme beaucoup de peintres symbolistes, il ne saura pas suivre le courant de l'art et se survivra pendant les cinquante ans qui lui restent à vivre.
Il rentre à Paris en 1895 et fait la connaissance de l'écrivain flamand d'expression française Georges Rodenbach (1855-1898) dont le roman Bruges la Morte a été un succès éblouissant. Malgré le fait que Rodenbach habite à Paris depuis plusieurs années, Lévy-Dhurmer le portraitise devant un panorama de la ville de Bruges. Ce portrait est, sans aucun doute, une des plus belles réussites du peintre.
Portrait de Georges Rodenbach. Pastel, 1895.
Même si le portrait et la figure symbolique correspond à l'essentiel de son activité à cette époque, il exécute aussi des paysages qui ne sont pas sans rappeler Monet par leur caractère vaporeux.
Le grand canal de Venise. Pastel, 1895.
Feu d'artifice à Venise. Pastel.
C'est Rodenbach qui lui permet d'organiser sa première exposition monographique en 1896 à Paris. Outre le portrait de Rodenbach, il y expose des pastels et des peintures qui restent parmi ses œuvres les plus connues.
Silence. Pastel, 1895.
Cette œuvre est inspirée d'une sculpture éponyme d'Antoine-Augustin Préault (1809-1879) qu'on peut voir sur la tombe de Jacob Roblès au cimetière du Père-Lachaise.
Eve. Pastel, 1896.
La bourrasque. Pastel, 1896.
Mystère ou la femme au médaillon. Pastel et
réhauts d'or, 1896.
Lors de cette exposition, Lévy-Dhurmer fait la connaissance du Sar Péladan qui apprécie beaucoup ses œuvres. Le grand prêtre de la Rose+croix esthétique lui écrit : vous savez certainement, Monsieur, quel est le caractère esthétique de la Rose+Croix ; vous n'aurez donc qu'à m'écrire en février et j'irai inviter vos œuvres chez vous. Cordialités. Sar Péladan.
Lévy Dhurmer ne donne pas suite à cet appel du pied. En revanche, par l'entremise de Rodenbach, il fait la connaissance de Pierre Loti.
Louis Marie Julien Viaud dit Pierre Loti (1850-1923) est alors au sommet de sa gloire. Il a écrit la majorité de ses romans comme Mon frère Yves (1883), Pêcheur d'Islande (1886) ou Madame Chrysanthème (1887). Il a été élu à l'Académie française en 1892 contre Emile Zola.
Pour le portrait de Loti, Lévy-Dhurmer reprend la même composition que pour le portrait de Rodenbach, Mettant en scène Loti devant un panorama d'Istanbul. On sait quelle affection liait Loti à la Turquie. Son premier roman Aziyadé (1879) racontait les amours clandestines d'une jeune circassienne appartenant à un harem et d'un officier de marine. Le livre eut un énorme succès et propulsa le jeune Loti sur le devant de la scène. En 1892, dans Fantôme d'Orient, il racontera sa recherche de la belle, à son retour à Istanbul. C'est là qu'il apprendra sa mort. Selon de nombreux témoignages, la belle circassienne aurait été en réalité un homme et beaucoup de ses contemporains affirmaient que Loti était homosexuel. Il reviendra encore sur la Turquie à la veille de la Première Guerre Mondiale dans son essai, La Turquie Agonisante.
Portrait de Pierre Loti. Pastel, 1896.
A la différence du portrait de Rodenbach, le peintre vêt Loti d'une tenue inspirée des habits ottomans, gilet de couleur et chemise à col ouvert. On remarquera que les yeux sont soulignés d'un trait de khôl, comme c'était souvent l'habitude chez les homosexuels de l'époque comme Jean Lorrain Quoiqu'il en soit, Le portrait enthousiasma Loti qui écrivit à Lévy Dhurmer : je me suis reproché tant de fois de ne pas vous avoir assez remercié d'avoir fait de moi la seule image qui restera.
A partir de 1897, Lévy-Dhurmer va beaucoup voyager en Europe, en Turquie et en Afrique du Nord. Il en rapportera de nombreux croquis qu'il utilisera pour ses toiles et ses pastels.
Il est incontestable que la figure féminine attire davantage Lévy-Dhurmer que la figure masculine. La majorité des femmes qu'il représente sont éthérés et sont très influencés par le Préraphaélisme et plus spécifiquement Burnes-Jones.
En 1897, il réalise un de ses plus beaux pastels, Méduse ou Vagues furieuse. Contrairement à la majorité des peintres, il ne représente pas la Gorgone couronnée avec une chevelure de serpents mais avec une chevelure d'algues et de coraux et une visage et un corps couleur d'eau. Le peintre contracte ainsi et la légende et la zoologie.
Méduse ou Vagues furieuses. Pastel, 1897.
Levy-Dhurmer exécute aussi toute une série de pastels, dans les teintes brunes et orangées, consacrés à l'automne, reprenant, en particulier, le thème de la bourrasque mais dans des version plus légères que la précédente.
Automne. Pastel.
La Fiancée de l'automne. Pastel.
Bourrasque. Pastel, 1897.
Un autre pastel, inachevé, est particulièrement remarquable, même en l'état, La Sorcière, élaboré en 1897. Si tous le ingrédients de la sorcellerie sont présents, la chauve-souris, le chat noir, le lézard et le serpent, le visage garde sa grâce léonardesque.
La Sorcière. Pastel, 1897.
Lors de son premier grand voyage, il part en Italie comme tous les artistes de cette période. Son art prend alors une tournure plus classique, influencé par les grands maîtres de la Renaissance, particulièrement Raphaël.
Florence. Pastel, 1898.
Portrait de jeune fille. Pastel.
De ses voyages en Afrique du Nord, il rapporte de nombreux tableaux, dont Le Marocain ou le Fanatique en 1900 et les Aveugles à Tanger l'année suivante.
Le Marocain ou le fanatique. Huile sur toile, 1900.
Aveugles à Tanger. Pastel, 1901.
La figure tragique d'Ophélie est un des sujets favoris des symbolistes à la suite des préraphaélites, notamment de John Everett Millais. Lévy Dhurmer y revient à plusieurs reprise. La première version de 1900 est classique, voire même convenue. Le portrait est celui de l'actrice Suzanne Reichenberg (1853-1924) interprétant l'adaptation qu'avaient fait Alexandre Dumas et Paul Meurice de l'Hamlet de Shakespeare en 1847. Le second est sans doute plus tardif (non daté). C'est un étonnant double portrait comme si l'âme de la pauvre Ophélie, noyée dans la Seine (on aperçoit Notre-Dame) quittait son enveloppe terrestre.
Ophélie. L'actrice Suzanne Reichenberg dans Hamlet de
Dumas. Pastel. 1900.
Deux jeunes filles en une seule. Pastel.
Dans ses paysages, Lévy-Dhurmer va de plus en plus privilégier les teintes sombres et particulièrement les violets et les bleus.
Bruges. Effet de neige. Pastel, 1900.
Dolomites. Pastel, après 1900.
Lévy-Dhurmer était passionné par la musique. Grand ami de de Debussy, il a donné plusieurs œuvres inspiré par la musique notamment le Prélude à l'Après-midi d'un faune (1892).
Après-midi d'un Faune. Pastel.
Le compositeur dont Levy-Dhurmer s'est surtout inspiré est Ludwig van Beethoven. Il consacre deux tableaux à la sonate n°14 dite Au clair de lune.
Sonate au clair de lune. Pastel.
Harmonie en bleu. Variation sur la Sonate
au clair de lune. Pastel, 1906.
En 1906, il consacre un triptyque au pastel à dominante rouge, de nouveau, à Beethoven.
Tryptique Beethoven. Pastel, 1906.
Hymne à la joie. Pastel, 1906.
Masque de Beethoven. Pastel, 1906.
Appassionata. Pastel, 1906.
Pour autant, l'artiste n'en a pas fini avec le compositeur de l'Hymne à la joie. Il consacre un autre panneau à la 7ème symphonie, Apothéose de la danse, et un autre tryptique.
La 7ème symphonie. Pastel.
Marche héroïque. Pastel et crayon sur papier gris.
Masque de Beethoven. Pastel et crayon sur papier gris.
Marche funèbre. Pastel et crayon sur papier gris.
Vers 1910, Lévy-Dhurmer réalise le magnifique portrait de Mademoiselle Carlier connu aussi sous le nom de la Femme au turban.
Portrait de Mademoiselle Carlier. Pastel, vers 1910.
En 1910, L'artiste reçoit de la part d'Auguste Rateau la commande de la décoration totale de son hôtel particulier.
Auguste Rateau (1863-1930) est un ingénieur polytechnicien qui va devenir un industriel important dans le domaine des ventilateurs et des turbines. Son invention du turbo-compresseur lui apporte la fortune. Dès 1896, il invente des lunettes permettant le visionnage de films en 3D. Il sera membre de l'Académie des sciences. Fils de l'architecte Auguste Rateau (1839-1917) qui a construit de nombreux édifices à Royan, l'ingénieur est lui aussi passionné par l'architecture. Il donne donc carte blanche à Lévy-Dhurmer pour décorer sa maison.
La salle à manger aux glycines a été installée entre 1910 et 1914. Elle est actuellement conservée au Metropolitan Museum de New-York. Le décor s'organise autour des panneaux de pastel japonisants représentant des jardins peuplés d'oiseux et de fleurs dont le motif unificateur est une guirlande de glycines. Ce décor est repris dans l'encadrement de bois sculpté par l'ébeniste et sculpteur suisse Edouard Louis Collet (1876-1961) à qui l'on doit aussi quelques statues comme son Nocturne en bronze.
Edouard Louis Collet. Nocturne. Bronze à
plusieurs patines.
Salle à manger aux Glycines. Vues générales.
L'ensemble du mobilier est aussi de Edouard Louis Collet sur des dessins de Lévy-Dhurmer. Le foyer de la cheminée et les bronzes ont été réalisés par le dinandier et sculpteur Jean Dunand (1877-1942).
Détail de la cheminée.
Les luminaires sont exécutés par la maison Falize frères (André, 1872-1936; Jean, 1874-1943; Pierre, 1875-1953).
Un des panneaux peints par Lévy-Dhurmer.
Il reste aussi un canapé au Musée d'Orsay, provenant de l'hôtel particulier de Rateau, dessiné par Lévy-Dhurmer et réalisé par Collet.
Durant la suite de sa carrière, Lévy Dhurmer va faire un certain nombre de portraits mais surtout représenter des scènes de l'Afrique du Nord, rejoignant la tradition orientaliste. L'art de Lévy-Dhurmer reste figé dans le style d'avant la guerre de 14. Il va devenir même moins audacieux que dans ses pastels des années 1890-1900.
Photographies de Lévy-Dhurmer vers 1920.
Autoportrait. Pastel, vers 1925.
Beautés de Marrakech. Pastel, 1930.
Il meurt au Vésinet en 1953, très vieux et presque oublié, comme tant d'artistes ayant marqué la période de l'Art Nouveau.